28.8.07

Anagrammatical

Qui peut échapper à ce que dit le mot désir ? Ni le vêtement, ni le silence, ni la nuit, ni les fards, ni même les pensées volontaires ne dissimulent tout à fait la honte des fantasmes qui nous affolent. La femme ou l'homme qui implorerait pour son désir implorerait en vain.

Agustina Izquierdo, L'amour pur, P.O.L, 1993.

24.8.07

Note sur les ruses du texte

Toute écriture littéraire - qu'elle soit fictionnelle et romanesque, ou autobiographique (et romanesque encore, ce n'est pas nouveau, voir Les Confessions, de Jean-Jacques Rousseau) - s'emploie à cacher un secret - faute, perte, erreur, échec, deuil, regret, remords, culpabilité, douleur -, bien plus qu'à le dire, bien plus qu'à l'exposer, à le cacher dans les mots, à le perdre, à l'enfouir, à l'ensevelir dans un tombeau profond d'où cela ne ressortira jamais, et dont la trace inversée, le positif issu de ce négatif, la forme heureuse, visible, issue de ce creux malheureux, de ce creuset, de ce moule, sera précisément la sépulture menteuse, le mensonge du petit monument d'écriture. (...)

Pour sauvegarder l'image de sa noblesse et de sa gravité, l'écriture veut faire oublier qu'elle est d'abord un jeu, un de ces jeux solitaires qui invite la multitude anonyme des partenaires invisibles à accepter la règle : la règle du jeu de l'écriture est sa seule vérité, sa matière mensongère, son pacte de dupes. (...)

Tout texte, aussi insignifiant soit-il, aussi mineur, aussi anecdotique, est fragment d'un texte général, et tout fragment d'écriture contient l'écriture tout entière : telle est la règle qui rend possible le jeu de la vérité perdue. Tout texte communique depuis toujours avec tous les autres textes, de toutes les époques, dans toutes les langues, il dialogue avec eux, il les prolonge, il les complète, les conteste, les critique, il leur réplique : il joue avec eux. Et cela se matérialise aujourd'hui - certes de façon encore embryonnaire, mais déjà spectaculaire et mpressionnante - dans le réseau de l'Internet, plus riche, plus ramifié, plus labyrinthique, plus collectif, plus fréquenté, plus partagé, qu'aucune autre construction humaine à ce jour. Tout texte, toute goutte de mots, est instantanément reversé dans l'océan du Texte, auquel il se même sans s'y dissoudre. (...)

La littéraure la plus populaire - celle de ce qu'on appelle les best-sellers -, présente toujours au lecteur une situation de jeu, mais surtout, elle lui révèle presque d'emblée la façon de gagner la partie, lui offrant ainsi la gratification d'avoir ouvert la serrure, d'avoir été supérieur à l'énigme, au secret de l'écriture : c'est que le lecteur d'un best-seller est, de fait, supérieur à son auteur - il l'est déjà numériquement : les millions de lecteurs, apparemment conquis par un auteur, deviennent la foule qui le piétine -, l'auteur a cédé à son lecteur, il lui a préparé sa victoire, il avait d'avance accepté et prévu de lui laisser le dernier mot....

Alain Fleischer, L'Ascenseur, Le Cherche Midi, Août 2007

19.8.07

Iroquois qui déboulent


Une paresse qui ressemble au travail, un travail qui ressemble à la paresse. Coeurs saturés comme l'éponge, mains gonflées comme le roseau. Des tas d'immondices et des masques de l'Empre State, l'Histoire soulève des odeurs frissonnantes comme de la tôle
(...)
New York - Wall Steet - 125th Street - Fifth Avenue

Un fantôme de méduse s'élève d'entre les épaules. Marché d'esclaves de toutes races. Hommes qui vivent comme des plantes dans leurs jardins de verre. Pauvres invisibles, ils se faufilent : poussière dans le tissu de l'espace, spirale de victimes.
(...)
Je répétais ces sentences et maximes, comme font les Arabes, déambulant dans Wall Street, là où coulent des fleuves d'or de toutes les teintes en provenance de leurs sources éloignées. Et j'ai vu parmi eux les fleuves arabes charriant par millions des dépouilles, victimes et offrandes à la Grande Idole, et entre les victimes des marins qui riaient aux éclats en dévalant le long du Chrysler Building pour remonter ensuite aux sources.
(...)
Central Park offre un festin à ses victimes et sous ses arbres paraissent spectres de cadavres et de poignanrds.
(...)
New York + New York = tombeau ou toute chose en provenance du tombeau.
New York - New York = le soleil.


Adonis, Tombeau pour New York

(Waqt bayn al-ramâd wa-l-ward), 1970.

18.8.07

Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

(...) j’ai vraisemblablement dû dire que cette phrase, à savoir “Auschwitz ne s’explique pas”, est fausse déjà au niveau structurel, puisque ce qui est a toujours une explication, même si cette explication est par nature purement arbitraire, erronée, quelconque, mais c’est un fait qu’un fait a au moins deux existences, l’une factuelle et l’autre, pour ainsi dire, spirituelle, un mode d’existence spirituel qui n’est autre qu’une explication, un amoncellement d’explications, et qui plus est, une surexplication des faits, ce qui revient en fin de compte à les annihiler, ou tout au moins à les brouiller ; cette malheureuse phrase - “Auschwitz ne s’explique pas”- est aussi une explication, elle sert au malheureux auteur à expliquer que nous devons passer Auschwitz sous silence, qu’Aushwitz n’est pas, ou plutôt n’a pas été, car n’est-ce pas, seules les choses qui ne sont pas ou n’ont pas été ne sont pas explicables. Cependant, j’ai sans doute dû dire qu’Auschwitz a été, et donc est, et qu’il y a donc une explication, et qu’il n’y a justement pas d’explication au fait qu’Auschwitz n’a pas été, c’est à dire qu’on ne pourrait pas expliquer qu’Auschwitz n’ait pas été, ne se soit pas produit, qu’un état du monde ne se soit pas réalisé dans le fait nommé “Auschwitz”.
« et cessez enfin de répéter, dis-je vraisemblablement, qu’Auschwitz est le fruit de forces irrationnelles, inconcevables pour la raison, parce que le mal a toujours une explication rationnelle […] en revanche, dis-je vraisemblablement, écoutez-moi bien, ce qui est réellement irrationnel et qui n’a vraiment pas d’explication, ce n’est pas le mal, au contraire : c’est le bien. »
« Auschwitz, dis-je à ma femme, m’est apparu par la suite comme une exacerbation des vertus qu’on m’inculquait depuis ma prime jeunesse. Oui, c’est alors, durant mon enfance, durant mon éducation qu’a commencé mon impardonnable anéantissement, ma survie jamais survécue… »

Imre Kertez - Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas - Actes Sud - 1995

Par exemple, j'ai rencontré un rhinocéros.

A partir de là, il y eut quelques scènes étranges. Par exemple, j'ai rencontré un rhinocéros. C'était sur la Budapester Strasse, juste en face de l'église du Souvenir. J'étais adossé contre une grille, je fumais une Kool. Il étaity dix heures du matin, mais c'était encore presque la nuit, comme si l'on avait éteint le ciel, et que la lumière avait disparu vers une autre époque. Le menthol enrobait bien ma gorge, mais je fumais à petites bouffées, car le front me cognait. Si j'avalais trop de fumée, c'était de nouveau la migraine. Dans les feuillages des sapins derrière moi, il y avait des bruits de feuilles. Je me suis retourné. A travers la grille, à quelques mètres de moi, il y avait un rhinocéros. Deux types en train de lessiver un rhinocéros, perchés sur des tabourets. Tandis que l'un frottait le dos de l'animal avec un balai-serpillère et lui moussait la carcasse, l'autre, avec une perche, lui enfournait d'énormes ballots de paille dans la gueule. Les arbres formaient autour du rhinocéros un tas noir de feuilles pourries. J'ai pensé à Anna Livia. Le rhinocéros était comme elle : une apparition de vie qui vous secoue - un diamant soudain. J'ai souri à cette comparaison. Ce soir, me disais-je, je lui dirai au téléphone qu'un rhinocéros m'avait fait penser à elle.

Yannick Haenel, Cercle, Gallimard, L'Infini, à paraître.

Contre les Poètes


"Pourquoi est-ce que je n'aime pas la Poésie pure ?
Oui, pourquoi ? Mais pour la simple et même raison qui fait que je déteste le sucre à l'état pur ! A quoi nous sert le sucre ? Mais à sucrer notre café, et l'on ne saurait vraiment le manger à pleines cuillerées comme une quelconque semoule... Ce qui lasse dans la Poésie pure, c'est l'excés de poésie, oui, la pléthore de paroles poétiques, de métaphores, de sublimation - bref, l'excés de condensation - qui épurent ces textes de tout élément anti-poétique et dont l'accumulation fait finalement ressembler le poème à un produit chimique.

(...) Et voilà ! ce qui ne voulait être qu'un envol momentané de la prose est devenue programme, système, profession, métier, et l'on devient aujourd'hui poète comme on est ingénieur ou médecin."
Witold Gombrowicz

"Gombrowicz nous livre les clés de son esthétique et réfléchit sur la condition humaine. Des pages splendides, émouvantes, sur la douleur nécessaire à la vie, le temps qu'il faut combattre, l'homme prisonnier des reflets de lui-même que lui renvoie autrui, font de ces textes - pour la plupart inédits et introuvables - le témoignage du dernier clown tragique, du dernier grand humaniste du XX° siècle."
Manuel Carcassonne & Christophe Gias


Witold Gombrowicz - Contre les Poètes - Editions Complexe - Le Regard Littéraire - 1988
Préface de Manuel Carcassonne & Christophe Gias


17.8.07

TOU–TOUTE DERNIÈRE FOIS

La dernière fois que j'ai envoyé un truc à la NRV, c'était pour le tout dernier numéro de la NRV. Maintenant, me voilà de nouveau à envoyer un truc à la NRV. Alors ça m'a donné l'idée géniale, c'est peu dire, d'écrire un texte sur les dernières fois. Toutes les sortes de dernières fois, les vraies et les fausses, en vrac, ce que je ne referai jamais et ce que je referai la prochaine fois. C'est pour lutter contre la mort.

La dernière fois que j'ai touché un mouton, c'était en 75 à Combloux, un village de Haute-Savoie. Et encore, je l'ai à peine touché : j'étais paralysé de peur à cause de l'air sournois et menaçant qu'a le mouton.
La dernière fois que j'ai été hospitalisé, c'était en 81 à la clinique de Chilly-Mazarin, juste avant mon bac "français", pour une torsion de testicule.
La dernière fois que j'ai joué dans un film, c'était dans Paris, mon petit corps est bien las de ce grand monde, de Franssou Prenant, et le jour du tournage de mon unique plan j'avais la gueule de bois : je suis très moche.
La dernière fois que je me suis vu chauve, c'était pendant l'hiver 98 en Normandie et je me suis dit que finalement j'aimais bien mes cheveux. Bruns, bouclés, souples. Soyeux.
La dernière fois que j'ai vu Pierre Joxe, il mangeait du canard.
La dernière fois que j'ai vu Beigbeder, il déclamait un texte debout sur une table, dans un petit bar de la rue Monge, l'air timide et saoul.
Ah non. La dernière fois que j'ai vu Beigbeder, il jouait les vedettes décontractées au Flore. Il s'est moqué de moi devant tout le monde parce que, par réflexe, j'avais fait le signe "on s'appelle" avec ma main près de ma tête, le pouce et le petit doigt tendu. Pour mimer un téléphone. C'est rien, ça ne m'a pas blessé.
La dernière fois que j'ai pleuré, c'était devant la télé (je regardais un machin sportif, je ne sais plus lequel). C'était avant l'histoire de Beigbeder au Flore – car sous des dehors émotifs, je suis coriace.
La dernière fois que j'ai baisé avec une fille qui ne s'appelait pas Anne-Catherine Fath, c'était au début du mois de juin 98, près de Toulouse, avec une prof de maths qui aimait mon premier livre.
La dernière fois que j'ai donné un puissant coup de poing à quelqu'un, c'était à l'enculé de sa mère qui a dit que je sais même pas c'est quoi un clitoris. Je ne le regrette pas.
La dernière fois que j'ai marché dans une forêt, c'était en Alsace, près de chez Anne-Catherine, dans la forêt où elle emmenait les mecs pour les embrasser. Je n'étais pas à l'aise, il me semblait voir des animaux cachés partout.
La dernière fois que j'ai mangé du canard, c'était en Normandie, au mois de mars. C'est aussi la dernière fois que Pierre Joxe m'a vu, mais il n'a pas remarqué que je mangeais la même chose que lui et donc n'a pas essayé d'engager la conversation avec moi (c'était pourtant facile, vous aussi vous aimez le canard, etc...)
La dernière fois que j'ai écrit un livre, c'était au début de l'année à Veules-les-Roses. Ça s'appellera probablement Le Camion jaune, ou peut-être La Grande à bouche molle, ça sortira en janvier 2001 chez Julliard et on pourra l'acheter en masse.
La dernière fois que j'ai marqué 30 points dans un match de basket, adulé par tout un gymnase, c'était le lendemain du jour où Marie Myriam a gagné l'Eurovision haut la main. Je me sens très proche d'elle, en tant que basketteur, car depuis nous avons suivi à peu près le même chemin.
La dernière fois que je suis monté à cheval, j'avais neuf ans et j'ai fait une chute mortelle. Je n'ai contrecarré les projets du destin que grâce à un sens instinctif du coup de reins en l'air (un peu à la manière des chats) et m'en suis sorti avec un bras cassé, ce qui n'est pas grave. (Aujourd'hui, j'ai gardé cette faculté de me retourner avant de toucher le sol, quand je tombe de deux ou trois mètres.)
La dernière fois que j'ai eu peur, c'était le mois dernier dans un bar. Un géant yougoslave, au visage coupé en deux par une cicatrice artisanale, s'est trompé de verre et a bu dans le mien. Pour rire (car j'aime à rire), j'ai joué l'outré et lui ai demandé s'il voulait sortir pour qu'on s'explique. Etant donné nos corpulences et tempéraments respectifs, je ne courais aucun risque : il ne pouvait pas me prendre au sérieux. Mais si. Il m'a traîné jusqu'au trottoir et m'a enfoncé le canon d'un gros revolver noir dans le ventre (mou).
La dernière fois que je me suis endormi avec un livre dans les mains, c'était la semaine dernière. La Maladie de Sachs m'a réveillé en sursaut en s'écrasant au pied du lit, sur le parquet. ("Quoi, qu'est-ce qui se passe ?")
La dernière fois que j'ai abattu un ours avec un fusil, c'était une ou deux secondes avant qu'un arbre immense et exotique ne s'effondre sur la maison de mes parents, qui se trouvait bizarrement en Asie. ("Quoi, qu'est-ce qui se passe ?")
La dernière fois qu'on m'a mis sous les verrous, j'ai pissé par terre dans la cellule. Pris de panique, c'est tout ce que j'ai trouvé pour montrer à mes tortionnaires que je ne supportais pas l'enfermement.
La dernière fois que j'ai fumé un pétard, c'était pendant l'hiver 98, en Normandie. J'étais chauve, et tellement cafardeux que je n'arrivais plus à bouger de ma chaise. Tout autour me semblait lourd et sombre, inutile et triste. Alors que normalement non. Ce n'est pas demain qu'on me reprendra à fumer un pétard.
La dernière fois que j'ai montré mes jambes en public, c'était pendant l'été 88 à la piscine Champerret. Je ne sais pas pourquoi, avec mes jambes exhibées aux yeux de tous, je me suis trouvé ridicule.
La dernière fois que je me suis senti rabaissé, c'était au salon du livre de Nancy. Le libraire qui s'occupait du stand où je signais s'est approché furax de mon attachée de presse, qui se tenait à côté de moi, et a beuglé en me montrant du doigt : "Ils n'avaient rien de mieux que ça à m'envoyer, chez Julliard ?"
La dernière fois qu'on a tenté de me tuer, c'était pendant l'été 98 à New York, trois ou quatre heures après cette photo (que j'ai prise vers 21h, avant de sortir). On revenait d'un restaurant italien et d'un moment au bar du coin de la rue. Dans un accès de démence, Anne-Catherine a réussi je ne sais comment à me projeter sur le lino de la chambre et a essayé de me supprimer par strangulation.
La dernière fois que j'ai pris une cuite, c'était avant-hier au Saxo Bar, en buvant de la bière et du whisky. Tout autour me semblait clair et léger, émouvant et rare. Ensuite je suis rentré à la maison un grec à la main, je l'ai mangé et j'ai regardé La Chaîne Météo pendant trois heures.
Et la dernière fois, la toute dernière fois que j'ai écrit un mot sans avoir d'enfant, du moins un mot publié, sans être père, la dernière fois de ma vie que j'ai écrit un mot en jeune homme sans suite, c'était maintenant.

Philippe Jaenada, Revue NRV, 2000


Dirt Nasty

- Sup Bitch ?
- Looking for a good time ?
- My dick is looking for a good time, how much for a blowjob ?
- 40 bucks
- You take cash ?
- No, food stamps, stupid



Dirt Nasty & Mickey Avalon "Too Sexy"

http://www.myspace.com/dirtnasty

16.8.07

Au grand jamais


Il ne faut jamais se couper de l'humanité, car on risque dans l'éloignement de lui trouver des circonstances atténuantes.

Albert Cossery,
Un complot de saltimbanques, 1973.

13.8.07

Générations


" (…) il m'est revenu à l'esprit que j'avais dit à la Persane, au cours d'une de nos promenades dans la forêt de mélèzes, que, de nos jours, tant de jeunes se suicident, et que la société dans laquelle ces jeunes sont forcés de vivre ne comprend absolument pas pourquoi, et il m'est revenu aussi que, sans transition, et avec toute la brusquerie dont j'étais capable, j'avais demandé à la Persane si elle-même se tuerait un jour. Sur quoi elle s'était contentée de rire et elle avait dit Oui."
Thomas Bernhard, Oui (Ja), 1978.

"Bien qu'il se fût vu obligé, parfois, de tirer sur des gens, mon père était un homme sans malice, gai et sensible de nature. Il m'aimait beaucoup et espérait me voir réussir là où il avait échoué dans la vie."
Viktor Pelevine, Omon Ra, 1992.

"Si l'on doit interdire aux jeunes de s'attaquer aux plus vieux, alors ils n'ont plus qu'à rester assis en silence pour toujours."
J.M. Coetzee, "He and His Man" – Nobel Lecture, 2003.

10.8.07

Mère qui cherche son petit


L'horizon marin s'incurve, mince et précis, il coupe la tête des vagues, les mâts des navires qui passent au large, vers le détroit de Messine. Là-bas, au loin, le cône élevé du Stromboli flamboie et fume sous un nuage rouge en forme de cœur, un ex-voto suspendu au mur clair du ciel.
(...)
Déjà le soleil se couche ; comme une toile d'araignée les rayons pourpres frissonnent dans l'air transparent. A travers les fils de la toile pleut sur les îles et sur les flots la poussière jaune de soufre que Vulcain exhale de sa bouche fumante. Autour de la maison, çà et là, les fumerolles sifflent doucement.


Curzio Malaparte, Sang et autres nouvelles (Sangue), 1937.

7.8.07

Un roi sorti du bois


L’écrivain est double : on fait le texte en pensant peu à la réception, après la publication on est un autre qui attend les lauriers et qui n’est pas vraiment celui qui a écrit. (...) et c’est justice, parce que quiconque se réfugie dans les livres – moi – perd le contact avec les autres. Je crois vraiment que la macération parmi les livres coupe du monde. C’est une vieille erreur que j’ai faite dans ma jeunesse. Il est trop tard maintenant, les jeux sont faits. Comme dit Macbeth, « le vin de la vie est tiré ». (...) Je n’aime rien tant que la figure de l’écrivain. Je ne dirais pas que c’est mon fonds de commerce, mais on aime toujours ses saints patrons. Cependant, dès que ça marche un tant soit peu pour un écrivain, la position de pouvoir lui fait perdre les pédales.

Pierre Michon, « Mais qu’est-ce qu’on va devenir ? », propos recueillis par Jean-Luc Bertini, Christian Casaubon, Sébastien Omont et Laurent Roux in La Femelle du requin, « Entre ciel et terre », n°22 (Hiver 2004), repris dans Le roi vient quand il veut. Propos sur la littérature, Albin Michel, à paraître.

6.8.07

Les visiteurs de ce blog...

...ont quand même de drôle de requêtes Google.
Florilège :
"tarte abricots érotique genève"
"lèvre de chatte"
"coffre-fort bijouterie"
"robes de mariées à aubervilliers 4 chemins"
"bible black extrait"

Exist & Liqid live in Paris-la Java

5.8.07

Boire en pissant

Durée : 1 ou 2 minutes
Matériel : toilettes et verre d'eau
Effet : ouvrant

Depuis des centaines de milliers d'années, l'immense majorité des humains vit et meurt sans avoir connu l'expérience qui va suivre. Elle est pourtant extrêmement facile, et particulièrement intéressante.
Comme tout le monde, vous pissez. Et vous buvez à d'autres moments. Vous ignorez ce qu'on peut éprouver quand on fait les deux en même temps. Cette expérience va vous permettre de le découvrir.
Vous aurez donc, tout bêtement, préparé un grand verre d'eau. Quand vous commencez à uriner, commencez à boire. Vous devez, autant que possible, boire d'une façon continue, d'un trait, sans temps d'arrêts. Des sensations tout à fait insolites vous habitent aussitôt. L'eau qui sort par votre sexe entre presque aussitôt en continuité avec celle qui entre par votre bouche. Vous allez donc soudainement imaginer, et surtout éprouver, une organisation de votre corps que vous n'aviez jusqu'alors pas même soupçonnée possible. L'eau que vous buvez paraît sortir directement de votre vessie. Vous découvrez en quelques secondes un circuit direct, gorge-urètre, un parcours instantané estomac-vessie, une physiologie impossible que cependant vous éprouvez de manière directe et indiscutable.
Vous vous inventez en quelques secondes un corps délirant, simplissime, et que pourtant vous éprouvez, de manière manifeste, indubitable. Plus d'intestins, de reins, de temps d'attente, de filtrage, de dialyse. L'eau circule en vous à la verticale, vous êtes traversé par le liquide frais, lavé du dedans, nettoyé d'une manière singulière et palpable. Votre organisme paraît ouvert du dedans, l'eau circulant souplement entre intérieur et extérieur, comme, au choix, un flux cosmique ou un lavage automatique.
Cette expérience, renouvelable indéfiniment, d'un coût nul, toujours susceptible de réserver de nouvelles découvertes ou de curieuses surprises, n'est pas considérée comme une cure thermale.

Roger Pol-Droit - 101 expériences de philosophie quotidienne - Editions Odile Jacob - poches - 2001 / 2003

2.8.07

Name Dropping


Aphra Behn
Cervantes
Daniel Defoe
Samuel Richardson
Henry Fielding
Lawrence Sterne
Mary Wolstencraft
Jane Austen

Sir Walter Scott
Leo Tolstoy
Honoré de Balzac
Edgar Allan Poe
Charlotte Brontë
Anne Brontë
Nikolaï Gogol
Gustave Flaubert
William Makepeace Thackeray
Nathaniel Hawthorne
Herman Melville
Charles Dickens
Anthony Trollope
Fyodor Dostoevski
Mark Twain
George Eliot
Emile Zola
Henry James
Thomas Hardy
Joseph Conrad

Katherine Mansfield
Edith Wharton
D.H. Lawrence
E.M. Forster
James Joyce
Virginia Woolf
Marcel Proust
F. Scott Fitzgerald
Ernest Hemingway
Hermann Hesse
Evelyn Waugh
William Faulkner
Anaïs Nin
Ford Maddox Ford
Jean-Paul Sartre
Simone de Beauvoir
Albert Camus
Franz Kafka
Thomas Mann
Graham Greene
Jack Kerouac
William S. Burroughs
Kingsley Amis
Doris Lessing
Vladimir Nabokov
William Golding
J.G. Ballard
Richard Brautigan
Milan Kundera
Ivy Compton Burnett
Paul Theroux
Günter Grass
Gore Vidal
John Updike
Kazuro Ishiguro
Malcolm Bradbury
Iain Banks
A.S. Byatt
Martin Amis
Brett Easton Ellis
Umberto Eco
Gabriel Garcia Marquez
Roddy Doyle
Salman Rushdie


The Divine Comedy, "The Booklovers", Promenade, Setanta, 1994.