31.1.08

Cupidon et Psyché


Les animaux sont sans nudité. Un chat n'est pas nu. Un poisson rouge n'est pas nu. Un canari n'est pas nu. La nudité, l'anxiété de alter, fait le propre de la sexualité humaine. Cette anxiété est inasouvie depuis l'origine. C'est l'impossible déshabillage de la statuaire, l'impossible persuasion des dessins et des scènes que je rassemble ici, l'impossible intrigue que cherchent à nouer les romans, l'impossible "enchantement désenchanté" que dit finalement la plainte de la musique. C'est l'impossible "fascination défascinée" du fascinant. La dénudation, étant la révélation de ce qui est caché de l'altérité dans l'autre, c'est la Révélation impossible. C'est l'Apocalypse impossible.


Pascal Quignard, La nuit sexuelle, Flammarion, 2007.

25.1.08

Mère et fils


Il conduisait à une machine comme une pompe sur le manchon de laquelle, appuyé, presque enroulé, ramassé sur lui-même, revenu en quelque sorte, ramené, paraissant dormir, béat, mais mort cependant, de toute évidence, se tenait un petit vieillard à tête d’enfant – un macaque, eût-on dit.


Claude Louis-Combet, Augias, Librairie José Corti, 1993.

21.1.08

Villa triste


Il y a de l'électricité dans l'air, à Paris, les soirs d'octobre à l'heure où la nuit tombe. Même quand il pleut. Je n'ai pas le cafard à cette heure-là, ni le sentiment de la fuite du temps. J'ai l'impression que tout est possible. L'année commence au mois d'octobre.

(...)

On ne vieillit pas. Avec les années qui passent, beaucoup de gens et de choses finissent par vous apparaître si comiques et si dérisoires que vous leur jetez un regard d'enfant.


Patrick Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue, Gallimard, 2007.

18.1.08

Dialogue vernaculaire


- My dick costs the late night fee, your dick got the HIV
My dick plays on the double-feature screen, your dick was straight to DVD
My dick bigger than a bridge, your dick looks like a little kid’s
My dick so hot it’s stolen, your dick looks like Gary Coleman
My dick pink and big, your dick stinks like shit
My dick is like super size, your dick looks like two fries
My dick VIP, your shit needs ID
My dick needs no introduction, your dick don’t even function
My dick served a whole luncheon, your dick looks like a munchkin
My dick size of a pumpkin, your dick looks like Macaulay Culkin
My dick good good luvin’, your dick good for nuthin’
My dick pretty damn skippy, your dick hungry as a hippy
My dick don’t fit down the chimney, your dick is like a kid from the Philippines
My dick is like a M-16, your dick broken vending machine
My dick rumbles in the jungle, your dick got touched by your uncle
My dick goes to Yoga, your dick fruit roller
My dick sick and dangerous, your dick quick and painless

Mickey Avalon featuring Dirt Nasty & Andre Legacy, ‘My Dick’, Mickey Avalon, Shoot to Kill Music, 2005.



- (La rue t’allume te suce te plaque tu tue et t’enterre)
C’est Sarcelles contre Garges
Evry contre Grigny
Nanterre contre Bagneux
Orly contre Vitry
C’est Meaux contre Villeparisis
Aulnay contre Sevran
Les Mureaux contre Mantes-la-Jolie
Dans tout Paname à la Goutte d’Or – des attentats comme Zarqaoui
(Les jeunes ont des posters de Zidane et de Zacarias Moussaoui – les cours de physique-chimie sont investis par des jeunes de téci – rêvent d’un vol pour Miami)

Sefyu, ‘Intro’, Qui suis-je ?, G-Huit, 2006.

16.1.08

Dormir dehors


Il faut un minimum
Une Bible un coeur d'homme
Un petit gobelet d'aluminium

Alain Souchon, La vie Théodore, 2005.

13.1.08

Vu de l'extérieur

Tu es belle vu de l'extérieur
Hélas je connais tout ce qui se passe à l'intérieur
C'est pas beau même assez dégoûtant
Alors ne t'étonne pas si aujourd'hui je te dis va-t'en
Va te faire voir, va faire voir ailleurs
Tes roudoudous, tout mous tout doux
Et ton postérieur
Il est beau vu de l'extérieur
Malheur à moi qui ai pénétré à l'intérieur
C'était bon ça évidemment
Mais tu sais comme moi que ces choses là n'ont qu'un temps
Va te faire voir, va te faire voir ailleurs
Tes roploplos, tout beaux tout chaud
Et ton gros pétard

Il est beau vu de l'extérieur
Qu'est-ce qui m'a pris grand Dieu d'm'aventurer à l'intérieur
C'était bon ça évidemment
Mais tu sais comme moi que ces choses-là n'ont qu'un temps
Va t'faire voir, va faire voir ailleurs
Tes deux doudounes, tes gros balounes
Et ton p'tit valseur
Il est beau vu de l'extérieur
J'aurais dû me méfier pas m'risquer à l'intérieur
C'était bon ça évidemment
Mais tu sais comme moi que ces choses là n'ont qu'un temps
Va te faire voir, va te faire voir ailleurs
Et sans délai tes boîtes à lait
Et ton popotin

Il est beau vu de l'extérieur
Pauvre de moi qui m'suis risqué à l'intérieur
C'était bon ça évidemment
Mais tu sais comme moi que ces choses-là n'ont qu'un temps
Va t'faire voir, va faire voir ailleurs
Tes beaux lolos en marshmallow
Et ton p'tit panier
Il est beau vu de l'extérieur
Mais tu sais comme moi tout ce qui s'passe à l'intérieur
C'est pas beau même assez dégouttant
Alors ne t'étonne pas si aujourd'hui je te dis va-t'en
Va t'faire voir, va t'faire voir ailleurs...

Serge Gainsbourg, Vu De L'Extérieur, 1973

11.1.08

'Good night, Señor C, I will whisper in his ear: sweet dreams, and flights of angels, and all the rest'


I read the work of other writers, read the passages of dense description they have with care and labour composed with the purpose of evoking imaginary spectacles before the inner eye, and my heart sinks. I was never much good at evocation of the real, and have even less stomach for the task now. The truth is, I have never taken much pleasure in the visible world, don't feel with much conviction the urge to recreate it in words.


J.M. Coetzee, Diary of a Bad Year, Harvill Secker, 2007.

9.1.08

Je ne songe pas à l'avenir, je ne me donne pas d'avenir, et pas même un présent. Le présent fléchit sans cesse, traversé par cette gaieté vide qui n'est que l'absence illimitée et vide de tout présent, il ne se vit pas au passé, rien en lui ne passe, rien ne finit, et s'il me devient si lourd à porter, c'est à cause de ce fardeau de légèreté, cette charge riante qu'il me faut soutenir au centre d'un jour rêveur qui me dissimule à moi-même. C'est dans un tel jour que je dois décider si réllement il m'invite à écrire. Il ne m'y force pas, il ne me le conseille même pas. Mais cependant, il m'a mis dans l'esprit cette pensée que, si nous sommes liés, nous le sommes par des écrits. Cela signifie que de la réalité de ce lien, je suis maître; pour rendre ce lien réel, il me faut donc écrire, et non pas une fois pour toutes, mais tout le temps, ou bien peut-être une seule fois, cela n'est pas précisé, mais une fois pour laquelle j'ai tout le temps, une fois qui épuise toute la réalité du temps. Pensée tentante, vide sans doute comme un rêve, oppressante et écoeurante comme tout ce qui est vide, mais au milieu de laquelle je puis demeurer d'autant plus légèrement qu'elle ne demande ni réalisation, ni même le rêve de cette réalisation.

Blanchot, Celui qui ne m'accompagnait pas, Gallimard, 1953.

Bon. Maintenant qu'on sait où l'on va, allons-y. Il est si bon de savoir où l'on va dans les premiers temps. Ca vous enlève presque l'envie d'y aller. J'étais distrait, moi qui le suis si peu, car de quoi le serais-je, et quant à mes mouvements encore plus incertains qu'à l'ordinaire. La nuit avait dû me fatiguer, enfin m'affaiblir, et le soleil, se hissant de plus en plus à l'est, m'avait empoisonné, pendant que je dormais. Entre lui et moi, avant de fermer les yeux, j'aurais dû mettre la masse d'un rocher. Je confonds est et ouest, les pôles aussi, je les intervertis volontiers. Je n'étais pas dans mon assiette. Elle est profonde, mon assiette, une assiette à soupe, et il est rare que je n'y sois pas . C'est pourquoi je le signale.

Beckett, Molloy, Minuit, 1951.

Question

Pourquoi un livre ne peut-il être à la hauteur de la nécessité de l'écrire ?

J. Vicens

Trouvé dans une petite sucrerie oulipienne : "Pourquoi je n'ai écrit aucun de mes livres" de Marcel Bénabou - Textes du XXème Siècle / Hachette, 1986

8.1.08

Sisyphe heureux


Je ne crois pas à la Nice des fleurs.


Par moi de nouveau sont glorifiés,


les hommes chiffonnés comme un lit d'hôpital


les femmes élimées comme un proverbe.




Vladimir Maïakovski, fin du prologue du poème Le nuage en pantalon (1914-1915), Pantin, Le Temps des Cerises, 1998.

5.1.08

L'homme aux rats

Il faut reconnaître à Sarkozy une profonde connaissance de la subjectivité des rats. Il les attire avec virtuosité. Peut-être a-t-il été rat lui-même ? En 1995, quand, trop préssé d'en venir aux choses ministérielles sérieuses, il a trahi Chirac pour Balladur ? En tout cas, trouvant les usages d'Etat de la psychologie du rat, il mérite un nom psychanalythiquement fameux. Je propose de nommer Nicolas Sarkozy "l'homme aux rats". Oui, c'est juste, c'est mérité.

Alain Badiou, De Quoi sarkozy est-il le nom (Crconstances, 4), Lignes, 2007

2.1.08

Dialogue séculaire

- Pendant la première partie de sa vie, on ne se rend compte de son bonheur qu'après l'avoir perdu. Puis vient un âge, un âge second, où l'on sait déjà, au moment où l'on commence à vivre un bonheur, que l'on va, au bout du compte, le perdre. Lorsque je rencontrai Belle, je compris que je venais d'entrer dans cet âge second. Je compris également que je n'avais pas atteint l'âge tiers, celui de la vieillesse véritable, où l'anticipation de la perte du bonheur empêche même de le vivre.

(Michel Houellebecq, La possibilité d'une île, 2005)


- Que pouvait-il dire à son fils, quel message avait-il à lui transmettre ? Rien. Il n'y avait rien. Il savait que sa vie était finie, mais il ne comprenait pas la fin.

(Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, 1998)