30.5.08

Du plagiat considéré comme l'un des beaux-arts

Vous avez Jean Echenoz qui, dans son roman Cherokee, s'est amusé à piller éhontément Jean-Patrick Manchette (je ne suis pas entrain de balancer un ami, il s'en est beaucoup vanté lui-même).
Vous avez François Bon qui dit en riant qu'il "sample" amicalement, de-ci, de-là, dans ses livres, un morceau d'Echenoz.
Vous avez évidemment le grand Alain Bashung qui chante "l'année dernière à marée basse", "excuse-moi part'naire", "le long des golfes pas très clairs", ou qui crie "alcaline, sur la plage".
Et vous avez, par exemple, moi, qui emprunte à ce Bashung un couplet de son "Samuel Hall" pour le coller dans une de mes nouvelles, paroles signées Olivier Cadiot, et quand je vois Cadiot et lui en parle, il me répond avoir lui-même emprunté toutes ces phrases dans un vieux polar de Jim Thompson.




Jacques Serena, L'année dernière à marée basse, Le Matricule des anges numéro 056, septembre 2006

28.5.08

A l'heure où s'allongent les ombres

Elle va de l'avant et regarde derrière elle,
constate qu'il existe seulement un lien ténu
entre le temps et la douleur
certaines choses ne s'en vont pas,
les blessures ne guérissent pas,
elles se trouvent simplement leur place dans notre ventre
et dans nos os
où elles se nichent et frémissent,
se tournent et se retournent sous nos doigts et nos côtes
en attendant de se réveiller
à l'heure où s'allongent les ombres

(...)


La seule raison de se lever, c'est les chiens
Anthony ne déborde pas de passion pour ce boulot
ses collègues sont idiots
ils sentent le détergent
ils veulent l'inclure dans leur clan
Calley, Masson, Malone,
Quand il les regarde
dérouiller les chiens,
Anthony reste à l'écart en fumant
et pense que la haine et l'amour sont équidistants
dans la chair et hors de la chair,
voilà pourquoi on dit des gens aimables
qu'ils ont bon coeur,
tandis que des salopards comme eux
tout bonnement écœurent.





Toby Barlow, Crocs, Grasset, 2008

25.5.08

The son of a man has no place to lay his head

I took her plate and dumped the piece of fish alongside the steak. A portion of bird meat would have completed the circle. It wasn't exactly a happy meal but I cleaned my plate. If you live on the railroad tracks the train's going to hit you, Grandpa used to say.


Jim Harrison, "Brown Dog", The Woman Lit by Fireflies, Washington Square Press, 1990.

23.5.08

Forcément

Personne ne s'est inscrit pour la chorale
l'animateur
est anthropophage
(...)



L'idiot perd son survêtement
il n'aurait pas du
vendre l'élastique
(...)






Lutz Bassmann (Antoine Volodine), in Prison, Haïkus de prison, Verdier, 2008

21.5.08

I Will Truck



Je crois savoir de quoi il s'agit. L'Opéra Rock de ce début de siècle.



Extrait de The Getting Address, 2005, The Dirty Projectors, illustré par un film d'animation de Dave Sumner.

18.5.08

Le terrible aveu











LE COFFRET ET LA CLE

Je ne sais absolument pas de quoi il s'agit.


David Lynch (à propos d'un élément resté mystérieux dans son film Mulholland Dr.), Mon Histoire vraie (Catching The Big Fish, 2006), Sonatine Ed., 2008.

16.5.08

Le regard des femmes

Toutes les femmes détiennent une petite racine d’indestructibilité, et le travail des hommes a toujours été de faire en sorte qu’elles s’en aperçoivent le plus tard possible. Les hommes africains sont aussi doués que les autres pour cet exercice, mais à bien regarder les femmes africaines, je ne les jouerais pas forcément gagnants. -

Chris Marker, Sans Soleil - Documentaire français, 1983 - Voix off : Florence Delay

14.5.08

"La réalité est dada"

"Je suis un type à qui les excentricités n'iraient pas très bien"
(...)

"D'une façon vulgaire, on pourrait dire que mon adhésion à la théorie révolutionnaire est accompagnée de l'idée que rien ne m'oblige néanmoins à vivre d'une façon désagréable"
(...)

"Il y a des moments où je souhaite très vivement la conservation du capitalisme"
(...)

"Il est épineux d'être un dirigeant. Il faut créer sans cesse une demi-réussite assortie d'un échec total, pour conserver son pouvoir"
(...)

"La réalité est dada. On le vérifie chaque jour à la télé, et c'est l'intérêt majeur de cette machine, après la diffusion de vieux films américains"
(...)

"Bref, j'attends avec un impatience de faire fortune. L'honnête aisance est un quart de libération. La demi-libération, c'est lorsqu'une heure de votre temps vaut plus que ce que vous pouvez dépenser en une heure. La liberté c'est quand la valeur disparaît - du moins la valeur quantifiée universelle du temps"
(...)

"Lecture du CAPITAL. Une si magnifique critique qu'il me vient non des érections mais de merveilleux éclats de rire"
(...)

"Melissa et moi fatigués. Je ne sais ce qu'on a à etre fatigué comme ça. A part qu'il y a de quoi - cette existence est fatigante"

Jean-Patrick Manchette, Journal 1966-1974, Gallimard, 2008

12.5.08

Il s'agit de Jean Eustache, le réalisateur


C'est rue Champollion, dans un obscur deux-pièces qu'il a emprunté à une fille partie rejoindre un ami qui travaille dans une usine à Besançon. Damien habite un autre appartement sombre, rue des Batignolles, mais il a voulu se donner l'impression d'aller mieux en changeant de quartier.

(...)

L'étroite petite rue Champollion, sombre et pavée, est vide. Je comprends tout à coup pourquoi je rêve parfois que Damien m'y poursuit en chaussons. C'est un petit signe moqueur qu'il m'adresse dans mon sommeil pour me signifier qu'il n'a jamais eu l'intention de vivre vieux, en pantoufles. Comment, en effet, imaginer Damien grand-père ?

La place de la Sorbonne est envahie par de jeunes touristes. Ils boivent un coca aux terrasses des cafés avant d'aller acheter des T-shirts boulevard Saint-Michel et des cartes postales représentant des tableaux d'Egon Schiele, au centre Beaubourg.


Lucile Laveggi, Damien, Gallimard, "L'infini", 2000.

10.5.08

Petite (en écho à Lou)

Tu as des yeux d'enfant malade
Et moi j'ai des yeux de marlou
Quand tu es sortie de l'école
Tu m'as lancé tes petits yeux doux
Et regardé pas n'importe où
Et regardé pas n'importe où

Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrai le verbe "aimer"
Qui se décline doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme le jour qui va baissant
Comme le jour qui va baissant

Tu as le col d'un enfant cygne
Et moi j'ai des mains de velours
Et quand tu marchais dans la cour
Tu t'apprenais à me faire signe
Comme si tu avais eu vingt ans
Comme si tu avais eu vingt ans

Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrai à tant mourir
A t'en aller tout doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme le jour qui va mourant
Comme le jour qui va mourant

Tu as le buste des outrages
Et moi je me prends à rêver
Pour ne pas fendre ton corsage
Qui ne recouvre qu'une idée
Une idée qui va son chemin
Une idée qui va son chemin

Ah! petite Ah! petite
Tu peux reprendre ton cerceau
Et t'en aller tout doucement
Loin de moi et de mes tourments
Tu reviendras me voir bientôt
Tu reviendras me voir bientôt

Le jour où ça ne m'ira plus
Quand sous ta robe il n'y aura plus
Le Code pénal

Léo Ferré, Petite, Récital à Bobino (Barclay - 1969), Amour Anarchie (Barclay - 1970)

8.5.08

lost lost lost

Ta jupe est trop courte
J'y vois des dessins j'y vois des années
Le trouble qui va te défigurer
Ta jupe est trop courte
Je ne peux plus imaginer

Tu marches trop vite
Je vois des chameaux au fond du désert
Qui crèvent de soif c'est l'été l'hiver
Tu marches trop vite
Je ne peux plus imaginer

Les gens te regardent
Je voudrais les mettre au fond de ta gorge
Et tu les rendrais avec du jasmin
Celui qui te montre et me rend malade
Les gens te regardent
Je ne peux plus...
Je ne peux plus imaginer

Ta jupe est trop courte
Tu marches trop vite
Les gens me regardent
Me regardent t'imaginer

Il manque quelque chose
Il manque quelque chose à cette ville obscène
Et c'est toi qui me manque
Et c'est toi qui me manque

Ta jupe est trop courte
J'y monterais bien au-dessus des toits
New-York ce matin n'avait plus que toi
Ta jupe est trop longue
Et j'imagine
Et j'imagine
Et j'imagine des étangs

Tu nages trop vite
Je vois des parfums je sens ta fatigue
Je crève de toi je crève de moi
Tu nages trop vite
Et je ne peux qu'imaginer


Les gens font la queue
A n'importe qui à ton odeur sûre
Tu leur donneras tes mûres pas mûres
Tu marches trop vite
Donne-moi la main tiens-moi sur ta carte
Regarde là-bas la rouge pancarte
Défense de vivre
Les flics nous regardent

Il manque quelque chose à Amsterdam ce soir
Et c'est toi mon amour
Toi qui cours dans mes veines

Je t'ai perdue... et tu me manques...

Je ne peux plus t'imaginer...

Toi l'héroïne... Toi l'héroïne...

De mon roman d'amour


Léo Ferré, Le Manque, On est pas sérieux quand on a dix-sept ans, 1987.

6.5.08

Zoologie fantastique : Un croisement

J'ai un animal curieux, moitié chaton, moitié agneau. C'est un héritage de mon père. En ma possession il s'est entièrement développé ; avant il était plus agneau que chat. Maintenant il est à moitié-moitié. Du chat il a la tête et les griffes, de l'agneau la taille et la forme ; de tous deux les yeux, qui sont sauvages et pétillants, la peau suave et ajustée au corps, les mouvements ensemble sautillants et furtifs. Couché au soleil, dans le creux de la fenêtre, il se pelotonne et ronronne ; à la campagne il court comme un fou et personne ne peut l'atteindre. Il fuit les chats et il veut attaquer les agneaux. Durant les nuits de lune sa promenade favorite est la gouttière du toit. Il ne sait pas miauler et il déteste les souris. Il reste des heures et des heures à l'affût devant le poulailler, mais il n'a jamais commis d'assassinat.

Je le nourris avec du lait ; c'est ce qui lui réussit le mieux. Il boit le lait à grandes gorgées entre ses dents d'animal de proie. Naturellement, c'est un vrai spectacle pour les enfants. L'heure de la visite est le dimanche matin. Je m'assieds avec l'animal sur mes genoux et tous les enfants du voisinage m'entourent.

On pose alors les questions les plus extraordinaires, auxquelles personne ne peut répondre : Pourquoi il n'y a qu'un seul animal de cette sorte, pourquoi c'est moi son maître et non pas un autre, s'il y a eu avant un animal semblable et qu'arrivera-t-il après sa mort, s'il ne se sent pas seul, pourquoi il n'a pas d'enfants, comment il s'appelle, etc. Je ne prends pas la peine de répondre : je me limite à montrer ce que je possède, sans autre explication. Quelquefois les enfants amènent des chats ; une fois ils ont été jusqu'à amener deux agneaux. Contre leurs espérances, il n'y a pas eu de scènes de reconnaissance. Les animaux se regardèrent avec douceur de leurs yeux d'animaux, et ils s'acceptèrent mutuellement comme un fait divin. Sur mes genoux l'animal ignore la crainte et l'instinct de poursuite. Blotti contre moi, c'est ainsi qu'il se sent le mieux. Il s'attache à la famille qui l'a élevé. Cette fidélité n'est pas extraordinaire : c'est l'instinct naturel d'un animal qui, ayant sur la terre d'innombrables liens politiques, n'en a pas un seul consanguin, et pour qui l'appui qu'il a trouvé chez nous est sacré.

Quelquefois je dois rire quand il renifle autour de moi, quand il s'emmêle dans mes jambes et ne veut pas s'éloigner de moi. Comme s'il n'avait pas assez d'être chat et agneau, il veut être chien. Une fois - ceci arrive à tout le monde - je ne voyais pas le moyen de sortir de difficultés économiques, j'en étais au point d'en finir avec tout. Cette idée en tête je me balançais dans le fauteuil de ma chambre, l'animal sur mes genoux ; j'ai pensé à baisser les yeux et j'ai vu des larmes qui gouttaient dans ses grandes moustaches. Etaient-ce les siennes ou les miennes ? Ce chat à l'âme d'agneau a-t-il l'orgueil d'un homme ? Je n'ai pas hérité gros de mon père, mais ce legs vaut la peine qu'on en prenne soin.

Il a l'inquiétude des deux, celle du chat et celle de l'agneau, bien qu'elles soient très différentes. C'est pourquoi il est mal à l'aise dans sa peau. Quelquefois il saute vers le fauteuil, il appuie sur les pattes de devant contre mon épaule et il approche son museau de mon oreille. C'est comme s'il me parlait, et, en fait, il tourne la tête et me regarde avec déférence pour observer l'effet de sa communication. Pour lui faire plaisir je fais comme si je l'avais compris et je bouge la tête. Alors il saute à terre et bondit autour de moi.

Peut-être que le couteau du boucher serait une rédemption pour cet animal, mais il représente mon héritage, et je dois la lui refuser. C'est pour cela qu'il faudra attendre jusqu'à mon dernier soupir, bien qu'il me regarde parfois avec des yeux humains, raisonnables, qui m'inciteraient à l'acte raisonnable.

Franz Kafka

Jose Luis Borges / Margarita Guerrero, Manuel de zoologie fantastique, Christian Bourgeois éditeur - 1954. Cet ouvrage a été réédité en 1967 sous le titre Le livre des êtres imaginaires, Gallimard / L'imaginaire

4.5.08

After Brutha Fez was dead


He can be a dead father.
(...)
Then another person will grow into his form and flesh and I will have something to hate when it is old enough to be a man.

People think about who they are in the stillest hour of the night.
(...)
There are dead stars that still shine because their light is trapped in time. Where do I stand in this light, which does not strictly exist?
(...)
I know I'm talking to a gun who can't respond but how does she undress when she undresses?


Don DeLillo, Cosmopolis, Scribner, 2003.

2.5.08

Et avec ça qu'est-ce que je vous mets ?



Ces six derniers mois au cinéma, une pulsion de vie (dans Deux jours à tuer) et une pulsion de mort (dans 99 francs) sont toutes deux survenues à un même moment qu’on pourrait pourtant qualifier de peu fréquent : lors d’une réunion visant à proposer un « concept » pour la campagne de promotion d’une nouvelle gamme de yaourts.

Antoine et Octave, respectivement, s’y lancent de plein gré dans l’exercice dit du pétage-de-plombs. Et il s’en suit inévitablement une virée au loin, une fuite en avant, une évasion, du rêve – en somme tout ce qui peut détacher leurs yeux de l’image honnie, celle du client d’hypermarché tendant la main vers un paquet de yaourts pour le porter à son caddie.

Albert Dupontel et Jean Dujardin viennent l’un et l’autre de la scène comique. On peut d’ailleurs penser que c’est là ce qui les rend bankable, notoirement dans des drames. À ce cinéma qui fait leur pouvoir, portant aux nues leur humble parcours comme on lance un nouveau produit, ils semblent néanmoins adresser dans ces deux scènes un théâtral bras d’honneur. Mais ils semblent, seulement.

Voici comment : tout d’abord Jean Becker et Jan Kounen (principalement auteurs de films marqués Gentil ou Méchant, selon) s’appuient sur ces scènes pour faire pivoter leur héros autour d’un axe. Pour Antoine c’est l’axe altruiste, eschatologique, « ce qui restera de moi ». Pour Octave c’est l’axe égoïste, métaphysique, « ce que je deviendrai ». L’un veut revivre, l’autre, renaître.

Mais ces éclats qui paraissent magistraux font en réalité partie d’une stratégie, celle du partir pour mieux revenir. Revenir à travers les siens ou revenir dans la partie revient alors au même : il ne nous appartient pas de décider de notre sort. Dans les deux films, la scène du yaourt vient nous rappeler que derrière l’absurdité du modèle qui nous gouverne, il y a l’absurdité qui consiste à le contester.