29.10.09

Souvent homme varie


Souvent les hommes se méprennent sur ce point précis : ils croient que les femmes qui ont de beaux yeux les regardent amoureusement.

Eric Chevillard, "707" (jeudi 29 octobre 2009), in L'autofictif {http://l-autofictif.over-blog.com/}

24.10.09

Pure perte

Esme connaissait tout de la perte, Anton en était convaincu. Par exemple la facilité avec laquelle elle oubliait les choses, comme si c'était une seconde nature - véritablement, elle faisait de l'oubli l'un des beaux-arts. La façon dont les choses dissolvaient dans son esprit, les tableaux qu'elle avait vus, les films, même leurs conversations - c'était de toute beauté. Anton avait peur, s'il restait trop longtemps en dehors de son champ de vision, qu'elle l'efface totalement. Tant elle semblait comprendre ce mouvement des choses qui allaient à leur perte. Mais si cela devait arriver, il ne disparaîtrait pas pour autant de son côté.
Esme vivait dans une démocratie absolue du visible et de l'invisible. Elle ne voulait rien du passé - le passé n'existait pas. L'absence était son art ; elle seule, à la rigueur, pouvait être perceptible. Les présences trop appuyées l'incommodaient. Elle était à l'aise dans les lacunes et les ombres. Ses livres étaient tout entier de noir et de blanc - ses livres étaient comme la plupart des livres, mais elle (pensait Anton) était loin d'être comme la plupart des gens.

Jakuta Alikavazovic, Le Londres-Louxor, L'Olivier, Janvier 2010

21.10.09

Abre los ojos


 Je suis désespéré par la contemplation du monde. J'en arrive à regretter ce qu'on appelle la sauvagerie. Il me paraîtrait plus naturel de revenir au cannibalisme, à l'arc, à l'épée, plutôt que de cautionner par mon silence la guerre d'aujourd'hui qui se veut propre. La guerre n'est pas un bilan positif sur un compte en banque. Ma révolte est inépuisable. Parfois je me dis qu'il m'aurait suffi d'avoir un visage comme tout le monde pour jouir du monde avec insouciance. Après tout, de quoi me plaindre ?

Antoni Casas Ros, Le Théorème d'Almodóvar, Gallimard, 2008.

11.10.09

Mucho Maas




Elle contemplait maintenant, suspendu en l'air au-dessus du lit, le portrait bien connu de l'oncle Sam que l'on peut voir dans tous nos bureaux de poste, avec sa lueur inquiétante dans le regard, ses joues creuses et parcheminées soudain empourprées, l'index pointé. J'ai besoin de vous - I want you. Pour quoi faire, elle n'avait jamais osé le demander (...)


Thomas Pynchon, Vente à la criée du lot 49, Points Seuil, 1966 (trad. 1987).