21.5.19

Bernique !



Rimbaud, dans les Illuminations, préssentait cette réduction universelle [l'accélération à l'œuvre dans la première révolution industrielle] : « Un petit monde blême et plat, Afrique et Occidents, va s'édifier », promettait-il — « La même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera ! »

(...) 

Alors qu'il prétend nous en affranchir, le projet transhumaniste n'a pas d'autre perspective que de nous séquestrer dans les limites de ce monde. Son but est simple : supprimer la mort ; et cela parce que les nababs de la Silicon Valley ne l'envisagent plus comme une porte mais comme un terme qui les prive de leurs biens. Ils ne veulent plus céder la palce, et transmette à ceux qui les suivent. Quand on est millionaire, à quoi rime d'abandonner sa position dans l'Olympe ? Tout simplement, les transhumanistes ne veulent pas partir. Ils s'accrochent à l'existence comme une bernique à son rocher. Ce qu'ils ne voient pas, en revanche, c'est que ne jamais mourir, au sens où ils l'entendent, consiste à ne jamais entrer en vie – à ne pas avancer au large dans les hautes mers de l'existence, là où s'éprouve notre engendrement continuel, celui qui nous creuse, nous renouvelle et nous accorde à chaque fois au mystère d'être là.


Yannick Haenel, François Meyronnis et Valentin Retz, Tout est accompli, Grasset, 2019.

3.5.19

La petite chouette d'or


En ce point où la morale fait place à la nature, je sens toujours m'envahir une gravité d'un genre inconnu en Hollande. Elle monte en moi au rythme de la terre qui s'élève autour de moi. En moi aussi, elle sourd de couches plus profondes, plus dures, plus primaires — recouvertes à Amsterdam par cent mètres de boue.


Harry Mulisch, Deux femmes, Actes Sud, 1975 (trad. Philippe Noble).