Quand Ferber avait travaillé au fusain et que la fine poudre de poussière donnait à sa peau des reflets métalliques, il me semblait qu'il venait tout juste de sortir du désert ou que rentrant dans le tableau, il allait incessamment y retourner. Lui-même, étudiant le scintillement du graphite sur le dos de ses mains, remarqua un jour que dans ses rêveries nocturnes et diurnes il avait déjà parcouru tous les déserts de pierre et de sable que la terre pût porter. Au reste, poursuivit-il en coupant à plus ample explication, cet assombrissement de sa peau lui rappelait une notice de journal sur laquelle il était tombé récemment et qui parlait des symptômes d'empoisonnement à l'argent assez fréquents chez les photographes professionnels. Aux archives de la Société britannique de médecine, y lisait-on, on conservait par exemple la description d'un cas extrême d'argyrose où le corps d'une laborantin, dans les années trente à Manchester, était censé au cours d'une longue période d'activité professionnelle avoir assimilé tant d'argent qu'il était devenu lui-même une sorte de plaque photographique, ce qu'attestait, m'expliqua Ferber avec le plus grand sérieux, le fait que le visage et les mains de ce manipulateur bleuissaient sous une lumière intense et donc, pour ainsi dire, se développaient.
W.G. Sebald, Les Emigrants (trad. Patrick Charbonneau), Actes Sud, 1999
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