Dans ce pavillon éclairé par les rayons du soleil couchant, où le clapotis régulier de l'eau faisait le silence encore plus complet, Marie, s'approchant de moi, me demanda si je savais qu'on était la veille de mon anniversaire. Demain, dit-elle, au réveil, je vais te souhaiter tout plein de bonnes choses et ce sera comme si l'on souhaitait à une machine dont on ignore le mécanisme de bien fonctionner. Ne peux-tu pas me dire, dit-elle, dit Austerlitz, ce qui te rend à ce point inaccessible ? Pourquoi, depuis que nous sommes arrivés ici, dit-elle, es-tu comme un étang pris par les glaces ? Pourquoi est-ce que je te vois ouvrir la bouche, sur le point de dire quelque chose, de le crier même, et qu'ensuite je n'entends rien ? Pourquoi depuis notre arrivée n'as-tu pas défait tes bagages et ne vis-tu pour ainsi dire que de ton sac à dos ? Nous étions à quelques pas l'un de l'autre, comme deux acteurs sur une scène de théâtre. Les yeux de Marie changeaient de couleur à mesure que la lumière déclinait. Et j'essayais de lui expliquer et d'expliquer la nature des émotions insondables qui m’étreignaient depuis ces derniers jours : que, comme un fou, je me voyais constamment cerné de mystères et de signes ; qu'il me semblait même que les façades muettes des maisons détenaient sur moi de funestes secrets ; que j'avais cru devoir être seul, et maintenant plus que jamais, en dépit de l'attirance que j'eprouvais pour elle. Ce n'est pas vrai, dit Marie, que nous ayons besoin d'absence et de solitude. Ce n'est pas vrai. C'est toi qui as peur, je ne sais pas de quoi. Tu t'es toujours tenu légèrement à distance, je l'ai bien vu, mais maintenant il semblerait que tu te retrouves devant un seuil que tu n'oses pas franchir.
W.G. Sebald, Austerlitz (trad : P. Charbonneau)
Actes Sud, 2002
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