Douch, Cambodgien connu pour
avoir été à la tête du camp S-21 de sinistre mémoire, vient ces jours-ci d'être
condamné à la prison à vie par décision d'un tribunal qu’a parrainé l'ONU. Le
fil des actualités rattrape ainsi Kampuchéa, le dernier roman de Patrick
Deville, dont Douch se trouve être au centre. Mais si l’écrivain évoque les
comparutions de l’ancien Khmer rouge entre 2009 et 2011, abordant au passage le
parcours d’autres acteurs de ce tragique épisode de l’histoire du Cambodge
survenu durant la seconde moitié des années soixante-dix, il le fait à sa
manière et y imprime sa patte faussement nonchalante. De même qu’il nous avait
dans ses précédents livres, en Amérique centrale, dans les Caraïbes ou en
Afrique, fait suivre le cours de ses pérégrinations à la recherche des restes
insurrectionnels, il livre ici tout autant le résultat d’une enquête, d’un
reportage sur le vif, que le fruit de ses réflexions. Et ce à quoi il pense,
nourri des lectures habitées de Loti, de Malraux mais aussi de figures moins
connues telle celle de l’entomologiste Henri Mouhot qui découvrit par hasard le
temple d’Angkor, ce qu’il nous donne à voir est notre propre reflet à travers
le destin des mouvements révolutionnaires. Le vertige utopique de la tabula
rasa irrigue les pages de Kampuchéa, provoquant tout à la fois
l’ivresse et la révulsion. Depuis le style martial et hypnotique des slogans de
l’Angkar diffusés sur Radio Phnom Penh devenue La Voix du Kampuchéa
démocratique jusqu’aux vers de Vigny que récite Douch pour toute défense face à
ses jurés – lui qui fut formé en France à enseigner les Lettres –, la langue
tourbillonnante de Patrick Deville nous permet de mieux appréhender la portée
d’actes que l’on catalogue sans doute trop vite comme étant uniquement des
atrocités, comme n’ayant pas plus de sens – ne pouvant être polysémiques. Son
roman s’avère ainsi capable de produire une épiphanie de la plus sombre horreur.
Patrick Deville, Kampuchéa,
Seuil, coll. Fiction & Cie, 2011.
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