J'ai appris plus tard que mon arrière-grand-père Claude, qui avait transmis son don à mon père, avait eu trois femmes, et qu'il avait décidé de toutes les renommer Maria, comme la première, morte précocement (et qui n'était pas mon ancêtre). Mon arrière-grand-mère, Maria (Jacqueline), a donc été précédée par une autre Maria (Madeleine), que mon père connut, et qui l'éleva même en partie lorsque ses parents ne purent plus s'occuper de lui, quand il eut douze ans.
Je me demande comment ces deux femmes ont pu accepter d'être renommées ainsi du nom de la première Maria, et ce que cela leur faisait de devenir la morte bien-aimée. Mon arrière-grand-père avait pour ainsi dire mis en place un système de résurrection onomastique, de fusion existentielle. Toutes les femmes se suivaient et se mêlaient et pour les gens autour de lui, il y avait toujours une Maria auprès de Claude. Je me dis aussi que pour imposer aux femmes que l'on épouse d'adopter le prénom d'une morte, il faut une certaine force de conviction.
Victor Pouchet, Autoportrait en chevreuil, Finitude, 2020.
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