(...) j’ai vraisemblablement dû dire que cette phrase, à savoir “Auschwitz ne s’explique pas”, est fausse déjà au niveau structurel, puisque ce qui est a toujours une explication, même si cette explication est par nature purement arbitraire, erronée, quelconque, mais c’est un fait qu’un fait a au moins deux existences, l’une factuelle et l’autre, pour ainsi dire, spirituelle, un mode d’existence spirituel qui n’est autre qu’une explication, un amoncellement d’explications, et qui plus est, une surexplication des faits, ce qui revient en fin de compte à les annihiler, ou tout au moins à les brouiller ; cette malheureuse phrase - “Auschwitz ne s’explique pas”- est aussi une explication, elle sert au malheureux auteur à expliquer que nous devons passer Auschwitz sous silence, qu’Aushwitz n’est pas, ou plutôt n’a pas été, car n’est-ce pas, seules les choses qui ne sont pas ou n’ont pas été ne sont pas explicables. Cependant, j’ai sans doute dû dire qu’Auschwitz a été, et donc est, et qu’il y a donc une explication, et qu’il n’y a justement pas d’explication au fait qu’Auschwitz n’a pas été, c’est à dire qu’on ne pourrait pas expliquer qu’Auschwitz n’ait pas été, ne se soit pas produit, qu’un état du monde ne se soit pas réalisé dans le fait nommé “Auschwitz”.
« et cessez enfin de répéter, dis-je vraisemblablement, qu’Auschwitz est le fruit de forces irrationnelles, inconcevables pour la raison, parce que le mal a toujours une explication rationnelle […] en revanche, dis-je vraisemblablement, écoutez-moi bien, ce qui est réellement irrationnel et qui n’a vraiment pas d’explication, ce n’est pas le mal, au contraire : c’est le bien. »
« Auschwitz, dis-je à ma femme, m’est apparu par la suite comme une exacerbation des vertus qu’on m’inculquait depuis ma prime jeunesse. Oui, c’est alors, durant mon enfance, durant mon éducation qu’a commencé mon impardonnable anéantissement, ma survie jamais survécue… »
Imre Kertez - Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas - Actes Sud - 1995
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