Quand tout, mais alors TOUT dans la vie vous donne envie de sourire, qu'il y a de plus en plus de soleil, de plus en plus de gaieté au point que ce ne sont plus des sourires que vous voyez, mais des dents, et que vous vous sentez...- eh bien, pas vraiment "au bord", car le monde n'a pas de bord ; mais plutôt comme si vous aviez toujours été de l'autre côté, là où les sourires et les rires deviennent une sorte de spasme réflexe comme pleurer ou vomir (vraiment, c'est la même chose) ; - quand vous buvez du vin rouge dans une tasse en essayant de classer par catégories les motifs luisants que vous apercevez à la surface du liquide - sachez, mes amis, que la chose est quasiment possible : vous convenez de l'existence d'une forme lumineuse semblable au tracé d'un hémisphère sur la ligne concave de l'équateur ; mais une nouvelle gorgée et ça devient un anneau scintillant qui entoure le cercle de vin ; encore une autre et cela devient d'un noir tirant sur le rouge avec votre reflet trouble dedans, votre peau plus rouge et votre bouche plus noire que le vin, encore une autre et vous distinguez des taches blanches à la surface : il ne s'agit nullement de reflets, mais de bouts de gras ou de riz ou de céréales , ou peut-être de bouts de peau de votre joue recrachés (la sempiternelle question : l'imperfection, la saleté, est-elle en vous ou dans le verre ?) ; - mais voilà que votre attention est à jamais détournée par la vilaine tache violette à la péripétie de la tasse, là où vos lèvres se sont posées ; quand tout devient troublant au point que vous n'êtes plus sûr qu'une prostituée est une femme tant qu'elle n'a pas retiré sa culotte ; quand rien n'est clair, et que se trouver une pute devient un manège mortel (et si vous n'attrapez pas une maladie qui vous tuera, ma foi, vous y viendrez, non parce que vous voulez mourir mais parce que tant que ça ne s'est pas produit les choses demeurent floues) ; quand l'alcool vous fait tomber amoureux de filles que leurs mères alcooliques cherchaient tout le temps à poignarder ; quand les noms de rues ressemblent à de fastidieuses astuces à la Nabokov ; quand seules les formes superbes des femmes sont pleines et que, même les yeux fermés, vous les voyez toujours s'adosser à un mur, croiser leur jambes et pointer leurs seins vers vous, ALORS il se peut qu'un jour, comme Jimmy, vous vous retrouviez à scruter le sombre défilé d'une rue, à tenter de percer les corridors infinis qui aboutissent à un lampadaire, un coin de rue et une silhouette de femme qui attend.
Mais vous pouvez faire aussi comme Jimmy et reprendre un verre.
William T. Vollmann, Des putes pour Gloria, Christian Bourgois, 1999 (pour la trad. française)
21.11.07
Les salades de Jimmy
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