3.11.07

Et je dirais même plus...


L'Etat du Mississippi est le lieu de l'action. Juillet dans le Sud. L'année 1931. Dans le cabinet de James R. Cofield, photographe. Je ne sais pas si le kodak archaïque est sur son grand trépied, ou dans les mains de Cofield. J'incline pour le trépied, puisque nous sommes en 1931, et aussi pour l'apparat, le crêpe noir, la hausse d'artillerie, le gros calibre. Dans la mire du gros calibre, assis, William Faulkner. Tweed en dépit de la chaleur, chemise dalton blanche ouverte sans ostentation, la pose artiste chic qui vient tout droit de Montparnasse via La Nouvelle-Orléans. Les bras croisés, mais pas comme à l'église, comme après le déjeuner. Dans sa main droite le petit sablier de feu, la très précieuse cigarette qui marque avec une intolérable acuité le passage du temps, qui réduit le temps à l'instant, la durée de combustion d'une cigarette étant comparable et cependant très sensiblement inférieure à celle de cette combsution complexe d'un corps d'homme qu'on appelle une vie. Donc, cette lucky strike de 1931. Et, comme née d'une lucky strike et d'un tweed, la fracassante apparition de William Faulkner.
(...)
Appelons ce qu'il voit : l'éléphant.
(...)
il a vu l'éléphant.
(....)
la guerre, l'éléphant.
(...)
Cet éléphant spécifique,
(...)
et la guerre fut finie avant que son escadrille n'aille tâter de l'éléphant,
(...)
L'éléphant qu'il voit, que Cofield voit qu'il voit,
(...)
le Sud, voilà le premier éléphant ;
(...)
Mais c'est bien la grosse bête tout entière et dans toute sa brutalité, l'éléphant,
(...)
la chabraque de l'élépant : dans un linceul de vieille et une culotte de petite.

(...)
Et, comme cette fois on a avalé l'éléphant,
(...)
on tombe au moins sous l'éléphant pour de bon,
(...)
Et cet éléphant-là
(...)
le viel éléphant sur la poitrine.
(...)
ils n'ont nul besoin de le transformer en éléphant.
(...)
someillent et chargent l'éléphant Shakespeare, l'éléphant Melville, l'éléphant Joyce, on a d'autre ressource que de devenir soi-même éléphant.
(...)
Pas pour Faulkner.
Il est calme après tout, ce regard qui voit l'éléphant de 1931.
(...)
Il est calme, il a écrit Le Bruit et la Fureur, il est le grand rhéteur, l'éléphant.
(...)
La lucky n'en a plus pour longtemps. Cofield déclenche.

Pierre Michon, "L'éléphant", in Corps du roi, Verdier, 2002.

2 commentaires:

Damien a dit…

J'en connais une qui dit que tu la copies...

Gui / Billy a dit…

Mais faute avouée à l'avance, faute à trois quarts pardonnée, non ?

(cf. le comité de rédaction improvisé de Randomizm @ Grand Eastern Station la semaine dernière)