Combien nous affligent et nous navrent ces nouvelles générations d'incapables ! Au moins autant que les anciennes, celles de nos pères et aïeux - que nos fosses d'aisance s'ouvrent pour leur offrir une digne sépulture ! Nous n'avons pas le culte de nos ancêtres à Choir. Plus exactement, nous les haïssons.
Nous haïssons ces nomades - d'où venus ? par quelles gluantes filières ? qui crurent bon de fixer leur camp sur cette île à peu près inculte - et si tel fut leur choix, obéissant à de bien perverses dilections, à de très puérils augures, au moins eussent-ils pu ne pas nous l'imposer et s'abstenir de procréer, de se propager ainsi, de proliférer comme des rats incontinents, des rats chieurs de rats, et de peupler Choir. Quelle rage les animait, sans ennemis à combattre ni idoles à abattre, qu'ils dirigèrent contre leur descendance vouant leur progéniture et les enfants de leurs enfants à l'ennui irrémissible de Choir ? Nous les insultons, nous crachons tant et si bien sur leur mémoire que la pluie n'a plus de traces à effacer. Quand quelque charrue met au jour une de leurs poteries dérisoires - tous potiers, ces antiques ! -, nous les broyons, nous rendons au vent cette poignée de poussière qu'il n'aurait jamais dû leur céder, qu'il aurait dû plutôt chasser devant eux pour les empêcher de la modeler de leurs mains avides d'y manger et d'y boire.
Eric Chevillard, Choir, Minuit, 2010.
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