Est-ce que je t'ai raconté ce très vieux monsieur qui à peine la portière refermée m'a dit, vous êtes le deuxième autostoppeur que je pends dans ma vie, le premier c'était il y a quarante ans, et il m'a raconté le souvenir qu'il en gardait, étrange, presque irréel, le type en question ne voulait pas lui dire son métier, il était bien habillé, avait l'air sûr de lui, il se contentait de répéter qu'il était haut fonctionnaire de la République, haut fonctionnaire dans quelle branche avait plusieurs fois demandé le conducteur, jusqu'au moment où n'y tenant plus l'autre avait fini par lâcher je suis bourreau, cela du ton le plus ordinaire possible, je suis le bourreau de la République, le précédent bourreau était mon oncle et maintenant c'est moi, c'est le titre officiel, bourreau, la guillotine les têtes coupées tout ça c'est moi, cela se passait en 1977, quatre ans avant l'abolition de la peine de mort et les mois suivants deux exécutions avaient encore eu lieu, les deux dernières de l'histoire de France, l'une et l'autre largement commentées par les journaux, la dernière racontée avec une révolte froide par la juge commise d'office Monique Mabelly qui rapporte notamment cette blague sinistre du fameux bourreau au moment d'ôter les menottes du condamné à mort réveillé à quatre heures du matin, ce mot horrible et tragique, écrit-elle exactement, eh bien vous voyez vous êtes libre – cela avant de lui tendre sa dernière cigarette, son dernier verre de rhum, et de lui couper la tête.
Sylvain Prudhomme, Par les routes, Gallimard, coll. L'Arbalète, 2019.
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