— Ça va comme ça, dit-il dans un râle, avec un sourire contraint. Je m'en remets à toi.
Il me tendit la patte. Je la serrai et le regardai dans les yeux, deux cercles rougis dépourvus de force, les mêmes qui autrefois lançaient des éclairs. J'aperçus encore une lueur, un éclair de lucidité qui me fit acquiescer, terrorisé, comme s'il venait encore de me donner un ordre.
— Finis-le pour moi. Mets-y tout ton Amour, dit-il.
— Bien sûr, Solomon.
— Et brûle l'ancien. Que personne ne sache qui j'ai été.
J'hésitai. Il s'en aperçut et tenta de me serrer plus fort la patte. Son livre racontait une histoire extraordinaire, faite de méchanceté, de sang, d'astuces et de ruses. Mon cœur se fendit en entendant cette volonté. Je m'étais attaché à ce récit, il avait coloré mes rêves bien mieux que la parole de Dieu, parce qu'il parlait de nous.
— Fais-le, dit le vieux renard avec un soupir. Ça ne cause que d'un animal, et de ses désirs futiles.
J'aquiesçai. Solomon lâcha ma patte et se mit à regarder par la fenêtre.
— Comme elle est longue, cette nuit. On dirait qu'elle nous veut à elle pour toujours, misérables et idiots.
Bernardo Zannoni, Mes désirs futiles, Quai Voltaire, 2023 (trad. Romane Lafore).