27.5.09

Dans la mémoire de mon téléphone - sixième

Huit propositions qui fixent le temps, puisque le moderne est une future vieillerie :



23.5.09

"L'imperfection propre à tout ce qui vit"



Elle se lève. Très haut dans le ciel une petite croix d'argent brille et fait en avançant un bruit de velours qu'on déchire. Il la regarde marcher le long de l'eau, tourner, revenir vers lui - ce corps menu, contractile ; dissimulant (derrière le poli, le doré de la peau, l'innocence des petites mains ouvertes) le désordre organique, le repoussant tumulte - bruissement de sang, précaires battements de coeur -, l'imperfection propre à tout ce qui vit ; fier semble-t-il, ou en tout cas satisfait, debout sur la table, près de l'eau, dans le soleil, de son angoissante et menteuse harmonie. Elle s'approche, une mèche de cheveux noirs sur l'épaule gauche, souriante, les sourcils légèrement haussés comme pour lui demander de cesser le jeu - et lui, la gorge lourde, regarde ce corps menu, candide, cette pitoyable beauté, vers laquelle le porte cette impulsion tout aussi pitoyable, ce désir de se cacher, de ne plus se voir, de se perdre, qu'on appelle l'amour, ou encore le désir, ou encore la haine - selon les preuves qu'on en donne - et même la Foi.

Jean-René Huguenin, La côte sauvage, Seuil, 1960

18.5.09

Qui bene amat bene castigat


Il pleure pour rien
En se gavant de pommes de pin
Il se cogne à tous les coins
Qui aime bien châtie bien


Bertrand Betsch, "Le grand embarras" {http://www.virginmega.fr/musique/titre/bertrand-betsch-le-grand-embarras-102731367,page1.htm}, La Soupe à la grimace, Labels-Lithium, 1997.



12.5.09

Elles sortaient toujours de relations dont les imperfections morales et la frénésie sexuelle avaient réveillé en elles le besoin de compenser avec lui


Il faisait nuit quand il rentra chez lui pour apprendre, par son petit boîtier de reconnaissance des numéros, qu'il n'avait pas eu d'appels, pas un seul, et tout en essayant de prendre une décision à propos de la fête, il plaça de nouveau le téléphone dans sa position d'attente. Dix minutes plus tard - il développait une longue et complexe analogie entre la fête et le pitoyable premier congrès des sociaux-démocrates russes à Stockholm en 1898 - il ressentit une explosion à proximité de ses testicules. Il le savait ! Quand on attendait encore et encore - comme les révolutionnaires avaient patiemment attendu - on était récompensés dans cette vie.

" Moufka ?"

C'était Sacha. Oh oui, c'était elle. Et son coeur s'emplit de larmes.


(...)


"T'es où ? a-t-elle demandé.

- J'arrive à York, patrie de la plaque d'acier de vingt kilos.

- En Pennsylvannie ?

- Oui. Ça roule beaucoup mieux sur la 78 que sur la 95.

- Au milieu de la nuit ?

- Ecoute, c'est comme ça qu'on fonctionne.

- Pourquoi t'as pas appelé ton oncle ?

- Parce que je l'ai pas appelé. Et je l'appelerai pas. Il n'a pas voté à la dernière élection. Il s'est abstenu.

- Il a fait ça ?

- Ouais. Il a dit que ça faisait pas de différence qui était Président.

- Il a dit ça ? " Arielle est restée muette un instant. " Bon, a-t-elle repris, on se vengera en faisant chez lui des choses terribles qu'il désapprouverait.

- Il vient d'Union Soviétique, Arielle. C'étaient des athées. Il ne désapprouve rien en dehors de l'argent.

- On commandera des repas hors de prix.

- À Washington Heights ?

- On jettera de l'argent dans la cheminée.

- Je l'appelerai pas.

- Arf ", a fait Arielle.

Sa façon de le prononcer m' a plu. " Refais-le, ai-je dit. Refais ce bruit.

- Non ", a dit Arielle, puis elle m'a rendu à la route et à moi-même.


(...)


La thèse de Mark, tout compte fait, portait sur Ronan Sidorovitch, "le comique menchevik". Lénine l'avait surnommé ainsi, menchevitskiy khakhmach, en 1911. Sidorovitch s'en amusa. "Je préfère être un menchevitskiy khakhmach, avait-il dit (à des amis), plutôt qu'un bolchevitskiy palach." Je préfère être un comique menchevik qu'un boureau bolchevik. Oups.


Keith Gessen, La Fabrique des jeunes gens tristes, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Stéphane Roques, II, "Mark : Parfois comme Liebknecht" et " Keith : Oncle Micha", III, "Mark : Phénoménologie de l'esprit", L'Olivier, 2009.

10.5.09

On livre inculte


Mais la langue pour moi est tout sauf un caniche,
Car la mort nous attend au bout de l'hémistiche.


Claro, note de traduction du roman de Vikram Seth Golden Gate, Grasset, 2009.

2.5.09

Une ordure

Le bon truc, c'est de donner une fois à la nouvelle nana tout ce qu'elle peut désirer, de sorte que sachant que tu en es capable, elle va passer son temps à se maudire intérieurement de ne pas réussir à réactiver ta passion pour elle.
Les meilleurs amants savent bien qu'il suffit d'être une fois un bon amant.
Assure le coup la première fois, et aprés, tu pourras quasiment en faire ce que tu veux.
Elles finiront par picoler en declarant que tu n'es qu'un sale con d'égoïste, cela généralement aprés des années d'auto analyse infructueuses, mais d'ici là, tu en auras eu ta dose et tu seras déjà en train d'en tringler une autre.

Irvine Welsh - Une Ordure (Filth) - Traduction Alain Defossé - Points - 1988