12.12.10

Deborah Zeller



Cavanaugh rit. L'expression de chacun s'aiguisa, vorace, on s'esclaffa avec lui de même que si nous avions profité d'une permission inattendue.

(...)

Les choses n'ont de sens dans le monde humain que dans la mesure où elles n'en ont pas.

(...)

Elle avait vidé son cendrier par terre, histoire de mettre un peu de désordre dans le monde pour qu'il ne soit pas différent d'elle.

(...)

Quand elle est là, je n'ai pas besoin d'essayer de vivre.



Leonard Michaels, The Men's Club, 1978 (dans la traduction de Céline Leroy, Le Club, éditions Christian Bourgois, 2010).

7.12.10

Meme



Même les oeuvres qui demeurent sont à leur tour débattues, interprétées, viciées par les gloses comme par de grosses mains pleines de doigts, trahies, dévoyées.



Eric Chevillard, Dino Egger, Editions de Minuit, à paraître le 20 janvier 2011.

2.12.10

"On ne vous oubliera jamais"

Il est significatif que le travail en soit venu à désigner une activité purement extérieure : aussi l'Homme ne s'y réalise-t-il pas — il réalise.



Emil Cioran, Sur les cimes du désespoir, 1934.

29.11.10

Sailor & Lula





[Marin] veut que le monde se répète cent mille fois, comme aloulou cent mille fois sans jamais un son en moins ni en trop, la même chose toujours, le même bonheur pour l'éternité, les feuilles, les bourgeons. Les feuilles, les fleurs, les fruits, les bourgeons et jamais aucun vide.





Eugène Savitzkaya, Marin mon cœur, Minuit, 1992.

25.11.10

Petrouchka


Il n'y a rien de plus rusé que sa personne propre, parce qu'on n'y croit jamais.



Fédor Dostoïevski, Les Démons (deuxième partie), 1871.

10.11.10

Ta Barnacle


Nora arrive avec deux ans de retard, à cinq heures précises.


Patrick Lapeyre, La vie est brève et le désir sans fin, P.O.L, 2010

2.11.10

Boire du genièvre jusqu'à défaillir

Nous étions six ou sept. Encore jeunes, et tristes, aimant les livres, les lapins, les orages, courir et dormir, nager dans les étangs proches, marcher la nuit et rentrer à l'aube les chaussures trempées, le front glacé, construire des machines sans aucun usage, de monstrueuses machines, boire du genièvre jusqu'à défaillir, vomir par la fenêtre, cracher, siffler, mourir pour rien, tourner les manivelles, tracer des plans, projeter des voyages, entreprendre, manger des fruits avec leur peau, dessiner sur les murs et les pavés de la ferme, faire du feu, détruire les portes, casser les tuiles, défoncer, tuer la volaille, ces oiseaux omniprésents, cette volaille au ras de terre, dans les trous, dans le foin, sous l'herbe, parmi la pourriture. Nous étions architectes, mécaniciens, oisifs. Surtout pas fermiers. Nous aurions fait de piètres cultivateurs, incapables de distinguer un épi d'orge d'un épi de blé, l'ivraie du froment, le bambou de la canne à sucre, la ciguë du persil, le vent du nord du vent du sud, l'automne du printemps. Éleveurs, nous aurions à coup sûr confondu tous les bestiaux, les femelles et les mâles, l'âne et le cheval, et nourri les vaches avec des pommes de terre, et les marchands nous auraient roulés et, trompés, nous ne nous serions même pas défendus, ignorant des coutumes et n'éprouvant aucun intérêt pour elles.

Eugène Savitzkaya, La traversée de l'Afrique, Minuit, 1979

25.10.10

Poisson soluble


C'est vivre et cesser de vivre qui sont des réponses imaginaires.
L'existence est ailleurs.

André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924.

19.10.10

Combien mesure donc la côte de Bretagne ?



Après cela, on remplace notre homme par une souris, puis par une mouche, et ainsi de suite. Encore une fois, plus près l’on veut se tenir de la côte, plus longue sera, inévitablement, la distance à parcourir.


Benoît Mandelbrot (1924-2010), Les objets fractals, Flammarion, 1975.

9.10.10

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut


Ne Payez Pas Pour Avoir Les Dents Blanches.


Découvrez le secret, trouvé par une maman, pour garder les dents blanches pour moins de 1€.


(Almost) random spam.

2.10.10

Quelle question


Ce qui vous empêche de devenir fou.


Antoine Volodine : Avoir vu la folie de très près. Des cachets qu'ils me donnent. J'en ignore le nom.
Lutz Bassmann :
Manuela Draeger : La peur de devenir folle.


Chronic'art, "Les écrivains post-exotiques par eux-mêmes", n° 68, septembre 2010.

23.9.10

Comment se faire inviter en Belgique (Louvain get ready)


(...) l'essentiel était de rester actif, de maintenir une activité intellectuelle minimale, car un policier complètement inactif se décourage, et devient de ce fait incapable de réagir lorsque les faits importants commencent à se manifester.
Curieusement, [le commissaire] formulait ainsi sans le savoir des recommandations presque identiques à celles que devait donner Houellebecq au sujet de son métier d'écrivain, l'unique fois où il accepta d'animer un atelier de creative writing, à l'université de Louvain-la-Neuve, en avril 2011.


Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Flammarion, 2010.

20.9.10

Les propriétaires de chiens devraient se méfier

"Je t'en supplie maîtresse mets-moi ma laisse, je t'en supplie fais-moi faire ma petite promenade, je t'en supplie regarde-moi faire caca , oh ma maîtresse, je t'en supplie oh oui tire sur ma laisse, jette-moi un hérisson en plastique qui fait pouët, donne-moi des claques quand je me frotte contre ta cuisse ma maîtresse, donne-moi des boulettes de viande pourrie à manger dans une gamelle en plastique rouge, appelle-moi Kiki oh ma maîtresse oui appelle-moi encore Kiki!".



Le Tampographe Sardon (http://le-tampographe-sardon.blogspot.com/), "I wanna be your dog", 20 septembre 2010.

13.9.10

Fluctuat Nec Mergitur


L'infime Delanoë sans honte et sans remords

Ses projets infamants son sourire de pendu

Son existence même qui sans cesse déshonore

De la simple raison les derniers détritus



Philippe Muray, chanson "Sans moi", Minimum respect, Les Belles lettres, 2003

6.9.10

Bled & Bescherelle


Ramuz est en délicatesse volontaire avec la grammaire, fondant le métal de sa langue vernaculaire dans le pouvoir d’évocation de sa prose.

Volodine est en délicatesse volontaire avec l’orthographe, prenant appui sur la formule « Omar m’a tuer » pour décupler la puissance de ses écrits.

1.9.10

Compson & Ferguson



Dans Le Bruit et la Fureur (1929), Quentin Compson brise sa montre : il fait montre d’indépendance vis-à-vis du passage du temps.
Dans Twin Peaks (1990), Madeleine Ferguson brise ses lunettes : elle affirme son autonomie vis-à-vis du spectacle du monde.

24.8.10

Dialogue vendémiaire



Dans la ville illustre grouillant de touristes excédés par les touristes, épuisés par la corvée des visites obligatoires, harcelés par les restaurateurs et les échoppiers, seuls semblent en vacances, torses nus dans le bleu du ciel, trois ouvriers sur un toit.





Eric Chevillard, "982" (mardi 24 août 2010), in L'autofictif {http://l-autofictif.over-blog.com/}

18.8.10

Summer teasing


"un pyjama rayé gris qui le fait vaguement ressembler à un bagnard de feuilleton télévisé"


AFP, 10 août 2010.

7.8.10

Ta mémoire coule à l'extérieur de tes yeux



De nouveau, quelque chose explose à l'étage. Par une fenêtre s'envole une torsade torrentueuse, tantôt orange, tantôt très noire.
La Mémé Holgolde agite sa hache en tremblant de rage.
- Amenez-le moi, ce fils de pute, demande-t-elle.
Puis c'est le matin. Une aube infâme sur la rue Kordobane.
Tout a été réduit en cendres.


Manuela Draeger (Antoine Volodine), Onze rêves de suie, "La bolcho pride", L'Olivier, à paraître le 9 septembre 2010.

2.8.10

Italiques quinze ans plus tôt



Je suis un comédien, un pitre qui joue une farce sinistre. Et cette farce doit être jouée jusqu'au bout.
-
Peut-être tous les hommes ont-ils une grande âme collective ; tous des visages du même homme.


Que feras-tu de moi ? Dans quel cercle de l'enfer voudras-tu me reléguer, parmi les réprouvés de quelle espèce ?
-
Aide-moi à ne pas te trahir.


Nous sommes des hommes. C'est la faute, non l'excuse. La faute.
-
Même si tu meurs, tu n'as pas abandonné tes frères.


Qu'avez-vous fait de moi, mon Dieu, qu'avez-vous fait de moi ?
-
Est-ce que tu as cru que tes souffrances seraient moins grandes parce que tu aimais le bien ?


Oh, la pauvreté de notre âme !
-
Oh mon ami de ces années resplendissantes. Aide-moi à te quitter.


Voici les frontières du monde. De salles d'interrogatoire. Des cellules et des couloirs sans fin. Cet affreux ciel jaune. Des corps perdus. Des âmes perdues. La nudité intolérable.
-
Où est ton étincelle maintenant ?


Mais je n'ai plus d'âme.
-
Où est cet endroit où nous étions ensemble ?




Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme, Actes Sud, à paraître le 18 août 2010.
-
Terrence Malick, The Thin Red Line (1998), dialogues traduits par Michel Chion in La Ligne rouge, Les éditions de la Transparence / Cinéphilie, 2005 (British Film Institute, 2004, pour l'édition originale en anglais).

31.7.10

Dans la mémoire de mon téléphone - douzième


Huit mises en contexte de ce qui s'est passé ailleurs et qui modifie tout :









24.7.10

Quand les habitants de la planète seront un peu plus difficiles, je me ferai naturaliser humain.




Cette région est pleine de petites filles. Il en sort de tous les arbres fruitiers. Il ne faut pas dire qu'elles sont moches. Elles sont moches, mais ce sont des Lorraines et ce mot est si gentil qu'il faut leur sourire.
Moi, je ne leur souris pas. J'ai ri une minute parce que deux hussards se disputaient pour inviter Germaine, la servante du café, qui est une grande fille veule et belle, mais on doit dire qu'elle est laide, à cause de son prénom. Quelle imagination pour trouver des raisons de se battre !
Je comprendrais encore s'il s'agissait d'une actrice célèbre ou de la reine Marie-Antoinette. Ces divinités agitent la plupart des hommes : il est agréable, il est urgent de tromper l'humanité avec Marlène Dietrich. Mais cette petite servante ! Quand les habitants de la planète seront un peu plus difficiles, je me ferai naturaliser humain. En attendant, je préfère rester fasciste, bien que ce soir baroque et fatigant.

Roger Nimier, Le Hussard Bleu, Gallimard, 1950

21.7.10

Artaud, baby

Nous avons moins besoin d'adeptes actifs que d'adeptes bouleversés

Antonin Artaud, La Révolution Surréaliste numéro 3, in Œuvres Complètes 1-2, éditions Gallimard, 1965

18.7.10

Par exemple

Mon petit garçon.

Je contemple ces trois mots, ça me submerge, un peu comme les toiles monochromes noires peintes par Rothko à la fin de sa vie ? Ou alors ce bleu de Klein ? Et puis je n'aime pas ce que j'ai vu et je me dis que je ne suis qu'un con et je vois à la place un tableau de Chagall ! Des anges des mariés une chèvre un rabbin un violoniste ! Vert rouge jaune blanc ! Pas de noir ! Je pense que je ne vais pas tenir le coup jusqu'à ce qu'il ait dix-neuf ans, par exemple. Ça me ronge et m'affole. Je me sens cloué où je suis et je n'ai pas voulu y être, écarté du destin de mon petit garçon.


Richard Morgiève, Mon petit garçon, Editions Joëlle Losfeld, 2002.

12.7.10

Happiness where are you I do not have a clue



On s'accroche donc à cette unique chose qui donne cet oubli total de soi-même qu'on appelle le bonheur. Mais lorsqu'on s'y accroche, il se change à son tour en cauchemar, parce qu'on veut alors s'en libérer. On ne veut pas en devenir esclave.


Krishnamurti, De l'amour et de la solitude, cité par Denis Robert en épigraphe de son roman
Le bonheur, Les Arènes, 2000.

10.7.10

Le post-yoknapatawphisme en une leçon, cette leçon


Un doux dingue américain qui "n'arrivait pas à oublier le 11-Septembre", écrit "Le Figaro" (17/6), a été arrêté, la semaine dernière, dans la zone frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan, où il était "parti à la chasse à Oussama Ben Laden". Outre un pistolet, un sabre et un poignard, Gary Brooks Faulkner était équipé d'un livre de prières (chrétiennes) et d'un peu de haschich. C'est bête, en Afghanistan, il aurait pu carrément faire le plein d'héroïne.


"Le Canard enchaîné", 23 juin 2010.

13.6.10

"Le XXIème siècle sera louche ou ne sera pas" (Jean-Daniel Dugommier)


Plus près de la mort que de mon premier jour, et malgré que mon existence ait été une bonne cuvée, grâce à travail et joies simples, saines, je quitterai, je crois, cette Terre sans trop de regrets, en évitant d'avoir pensée pour mes semblables dont tellement crèvent de faim, de manque de libertés, de respect, résultats d'une politique mondiale où la plupart des dirigeants, à l'esprit tortueux, machiavélique, sont plus enclins au mal qu'au bien, et profite à outrance, à gogo, des gogos de la bêtise humaine.


Revue louche (objet sous-réaliste) n°3, Dossier Gaëtan Barthélémy, Epilogue "Fermons le Ban!", novembre 2005.

6.6.10

Sic semper tyrannis !



U. Pourquoi mourir dans un théâtre où vous n'alliez jamais ?
V. Pourquoi l'acteur crève-t-il dans une grange à bestiaux ?
W. Vous expirez. La mort vous confère l'immortalité.
X. Un balle tirée par les soldats en rage frappe l'acteur sudiste.
La Confédération meurt avec lui.
Y. Vous vous apprêtez à sortir authéâtre. Votre femme aimerait mieux rester dîner avec vous, en famille, "ou alors allons plutôt voir une pièce sérieuse, chéri. - Non, j'ai envie de rire ce soir", lui répondez-vous.
Z. Tu as de la chance, John Wilkes Booth, tu n'es pas mort au bout d'une corde, comme les infâmes.


Thomas Clerc, "L'homme qui tua le président des Etats-Unis" in L'homme qui tua Roland Barthes, L'Arbalète-Gallimard, 2010.

2.6.10

Hopscotch



What you figure?
That this chalky outline on the ground is a father figure?


Cannibal Ox (Vast Aire line), "Iron Galaxy" on The Cold Vein, Def Jux, 2001.

16.5.10

Foe

4. Pire que l'architecte, il y a l'urbaniste. L'architecte ne sévit qu'à l'échelle d'un immeuble. Mais l'urbaniste nuit à la ville entière.
5. Le résultat de siècles d'architecture et d'urbanisme : des citadins réduits par la routine au rôle d'usagers. Des villes d'aliénés.


Robinson

1. Robinson : un bricoleur. Un débrouillard. Un aliéné qui, pressé par les circonstances, s'émancipe.

2. Une ville de Robinsons : assurément mieux qu'une ville d'aliénés. Pourtant Robinson s'arrête en chemin. Examinons un instant son île, une fois civilisée. A quoi ressemble-t-elle ? A n'importe quelle autre île civilisée. Robinson a rebâti l'ordre ancien, à l'identique. Il s'est comporté en architecte.



Sylvain Prudhomme, L'affaire Furtif, Burozoïque, coll. Le répertoire des îles, 2010.

13.5.10

149


Mes pas dans cette rue
Résonnent
Dans un autre rue
J'entends mes pas
Passer dans cette rue
Il n'y a rien d'autre que la brume.


Octavio Paz, cité par Julio Cortázar in Marelle, Gallimard-L'Imaginaire, 1963.

6.5.10

***


Nous n'étions pas amoureux, nous faisions l'amour avec virtuosité, détachement et esprit critique, mais après nous tombions dans des silences terribles et l'écume de la bière dans nos verres devenait de l'étoupe, tiédissait et rétrécissait, et nous nous regardions en sentant que c'était cela le temps.

(...)


Pendant des semaines ou des mois (le compte des jours [lui] échappait, heureux donc sans futur), ils marchèrent inlassablement à travers Paris, regardant les choses, laissant arriver ce qui devait arriver, s'aimant et se disputant, le tout en marge des événements, des obligations familiales et de toute contrainte fiscale et morale.


Julio Cortázar, Marelle, Gallimard-L'Imaginaire, 1963.

28.4.10

À rebours

La Bièvre représente aujourd'hui le plus parfait symbole de la misère féminine exploitée par une grande ville. Née dans l'étang de Saint-Quentin, près de Trappes, elle court, fluette, dans la vallée qui porte son nom, et mythologiquement, on se la figure, incarnée en une fillette à peine pubère, en une naïade toute petite, jouant encore à la poupée, sous des saules.

(...)


Symbole de la misérable condition des femmes attirées dans le guet-apens des villes, la Bièvre n'est-elle pas aussi l'emblématique image de ces races abbatiales, de ces vieilles familles, de ces castes de dignitaires qui sont peu à peu tombées et qui ont fini, de chutes en chutes, par s'interner dans l'inavouable boue d'un fructueux commerce ?


Joris-Karl Huysmans, "La Bièvre" in
La Bièvre et Saint-Séverin, Stock, 1898.

18.4.10