22.12.11

mille neuf cent et des poussières


Toutes les images disparaîtront.
(...)
Toutes les images crépusculaires des premières années, avec les flaques lumineuses d’un dimanche d’été, celles des rêves où les parents morts ressuscitent, où l’on marche sur des routes indéfinissables
(…)
les images réelles ou imaginaires, celles qui suivent jusque dans le sommeil
les images d’un moment baignées d’une lumière qui n’appartient qu’à elles
(…)
Elles s’évanouiront toutes d’un seul coup comme l’ont fait les millions d’images qui étaient derrière les fronts des grands-parents morts il y a un demi-siècle, des parents morts eux-aussi. Des images où l’on figurait en gamine au milieu d’autres êtres déjà disparus avant qu’on soit né, de même que dans notre mémoire sont présents nos enfants petits aux côtés de nos parents et de nos camarades d’école. Et l’on sera un jour dans le souvenir de nos enfants au milieu de petits-enfants et de gens qui ne sont pas encore nés. Comme le désir sexuel, la mémoire ne s’arrête jamais. Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l’histoire.
(…)
S’annuleront subitement les milliers de mots qui ont servi à nommer les choses, les visages des gens, les actes et les sentiments, ordonné le monde, fait battre le cœur et mouiller le sexe.
(…)
Tout s’effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s’éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d’une table de fête on ne sera qu’un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d’une lointaine génération.

Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008.

12.12.11

#lundiconfession


Il est des associations musico-littéraires qui ont l'évidence de la trace indélébile, qu'elles soient étonnantes (The RZA-Guillaume Apollinaire), confluentes (Godspeed You Black Emperor!-Lutz Bassmann) ou davantage gênantes (ABBA-JM Coetzee).

5.12.11

écriture minsucule



Tout le monde se déplace à pied, à la rigueur avec une bête de somme. Comme si la roue n'était pas encore inventée. Ou bien ne sommes-nous plus dans le temps ? Que veut dire le 24 septembre ?? - Derrière la maison, il y a un jardin, ou pour mieux dire une cour avec un figuier et un grenadier.



(...)


Le souvenir, ajoutait-il dans un post-scriptum, m'apparaît souvent comme une forme de bêtise. On a la tête lourde, on est pris de vertige, comme si le regard ne se portait pas en arrière pour s'enfoncer dans les couloirs du temps révolu, mais plongeait vers la terre du haut d'une de ces tours qui se perdent dans le ciel.



W. G. Sebald, "Ambros Adelwarth", Les Emigrants. Quatre récits illustrés, 1992, Gallimard, coll. Folio (trad. Patrick Charbonneau pour Actes Sud, 1999).