30.12.08

pour ne pas dire presque amoureuse


PROGRAMME MINIMUM

REINES MORDUES

192. FAIS VOILE VERS LE VISAGE HAGARD, CRAILLE, ENTRE DANS LA MATRICE ETRANGE, DETRUIS TOUT !

APPEL GENERAL

241. CENT ATTENTATS, MILLE ATTENTATS CONTRE LA LUNE !

APRES NITCHEVO

322. REPOS MILLE ANS, SILENCE MILLE ANS, VENGEANCE MILLE ANS!
323. VENGEANCE MILLE ANS, ET ENSUITE : NITCHEVO !

PROGRAMME MAXIMUM

BANQUISE

55. REALISATION IMMEDIATE DU CENT DOUZIEME REVE !

DES RESTES ENCORE

120. SI ON TE DIT QUE TOUT EST FINI, N'ECOUTE PAS, TRAHIS !

L'ASSASSIN ABSINTHE

155. INDULGENCE POUR LES TRAITRES ABSINTHES !

CONTRADICTIONS ELEMENTAIRES

168. NUIT ETERNE SUR LES VILLES DE LA COTE !
169. SOLUTION NOIRE POUR LES VILLES COTIERES !
170. SOLUTION ROUGE POUR LES VILLES COTIERES !

SUSY VAGABONDE

260. POUR TOI DEUX HEURES SANS REVE SI TU LIVRES LE NOM DE SUSY VAGABONDE !
261. NE CACHE PLUS EN TOI LE NOM DE SUSY VAGABONDE !

272. NOUS SOMMES TOUTES SUSY VAGABONDE !

LES MAUVAIS JOURS

337. UN JOUR NOUS DORMIRONS SANS METTRE VOS VISAGES !
338. UN JOUR NOUS AURONS BIEN VECU !

343. LES MAUVAIS JOURS FINIRONT !

INSTRUCTIONS AUX COMBATTANTES

PRECAUTIONS ELEMENTAIRES

3. SI AUTOUR DE TOI TOUT LE MONDE S'EST PENDU ARRACHE-TOI LA TETE AVEC LES DENTS !
4. SI PERSONNE NE REPOND A TON APPEL, CRIE DEUX FOIS EN DIRECTION DU VENTRE !

CONNAITRE SON CORPS

69. NE COMPTE QUE SUR TES PAUPIERES POUR NE PLUS RIEN VOIR !

PRINCIPES DIETETIQUES

126. NE MANGE RIEN SI L'ANNEE EST ROUGE !
127. MANGE LE PREMIER DU MOIS, AVEC MODERATION !

SOUFFLES ET VOIX

139. DEGUISE TON CORPS SI TU AS UN CORPS !
140. NE CROIS PAS A TON CORPS SI TU POSSEDES UN CORPS !
141. DESOBEIS A TA VOIX SI TU AS UNE VOIX !

150. CHANTE SOUS TON CRANE SI TU AS UN CRANE !
151. MEME QUAND TU CHANTES, SILENCE ABSOLU !

CE QU'ON LEUR LAISSE

274. PAS DE COMBAT, PAS DE MORT, NUL SOMMEIL, SEULEMENT TA HAINE NON ETEINTE !

DERNIERES RECOMMANDATIONS

319. MEFIE-TOI DU CLOWN AFFABLE, SON VENTRE EST IMMENSE !

LES MAUVAIS JOURS FINIRONT

341. BIENTOT TU OUVRIRAS LA PORTE !
342. BIENTOT NOUS DORMIRONS ENSEMBLE !
343. LES MAUVAIS JOURS FINIRONT !


Maria Soudaïeva, Slogans (traduits du russe par Antoine Volodine), Editions de l'Olivier, 2004.

20.12.08

Le bonheur


"Théoriquement, il existe une possibilité de bonheur parfait : croire à ce qu'il y a d'indestructible en soi et ne pas s'efforcer de l'atteindre."

Franz Kafka.

18.12.08

Facétie


LAISSONS L'ENVAHISSEMENT NOUS DIVERTIR


Stricte inversion des termes dans la formulation du slogan publicitaire ornant la dernière brochure d'un des héritiers des PTT.

13.12.08

Apparaître


Pour quelqu'un qui avait passé des années en communauté, à s'engager dans des associations toutes plus farfelues les unes que les autres, à militer pour d'innombrables causes perdues, elle avait fini par se dire, percluse de déceptions, que si elle ne pouvait pas changer le monde, elle ferait en sorte que le monde ne la change pas.


Pascal Garnier, Lune captive dans un oeil mort, à paraître chez Zulma en janvier 2009.

7.12.08

Le saigneur des anos


Quand un con pâtit,
Qui compatit ?


Roger-Pol Droit, Où sont les ânes au Mali ?, "Toc éthique", Seuil, 2008.

4.12.08

Paradox Man


Making a famine where abundance lies,
Thyself thy foe, to thy sweet self too cruel.

William Shakespeare's first sonnet.

1.12.08

Dialogue parlementaire


Il m'a pris par le bras et il a dit de sa voix gentille et encourageante : "Venez, Monsieur. C'est comme ça. C'est pour vous et c'est pour moi. Nous ne pouvons pas le changer. Au temps de la glace, les lois aussi s'endurcissent.".


Nils Trede, La Vie pétrifiée, Quidam Editeur, 2008.

27.11.08

J'aime les araignées. Elles ne portent pour ainsi dire jamais de chemises à fleurs.

Raymond Chandler, The Long Good-Bye (Sur un air de Navaja), Gallimard, 1954

25.11.08

- Deux, corrige l'autre

Il est persuadé qu'il y a une panne de secteur. Il ne comprend pas qu'il est mort.

(...)
La lumière avait encore baissé. Le sol sous leurs pieds dérapait ou se tassait avec des bruits de neige. Ils se penchaient en avant et ne parlaient plus. Ainsi s'écoulèrent dix ou quinze minutes, puis une semaine. De temps en temps, Schlumm rattrapait Puffky et il le tabassait pour le contraindre à dire où ils allaient, ou pour savoir si la cave avait une limite ou non, ou si l'un d'eux était mort et lequel, ou s'ils étaient morts tous les deux et pour combien de temps : ce genre de questions.

Antoine Volodine, Bardo or not Bardo, "II. Glouchenko" et "V. Puffky", Seuil, 2004.

19.11.08

Zoo zéro, le chevalier noir


Le noir inquiète, le noir fait peur, et pourtant on ne protège pas du noir, comme on se protège de la couleur. Pas de lunettes, pas de visière, pas d'ombrelle, pas d'écran contre l'intensité, contre la violence, contre la blessure du noir. Le noir serait don, en fait, plus inoffensif, plus naturel que la lumière.


Alain Fleischer, Faire le noir. Notes et études sur le cinéma, cité dans le catalogue de l'exposition "Le noir est une couleur", Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence), 30 juin - 5 novembre 2006.

17.11.08

Nous sommes sur le devant d'une ferme, dans le département des Basses-Alpes


Se guérir de la peste n'est pas retourner en arrière, c'est revenir à la santé. C'est se retirer du mal. L'intelligence est de se retirer du mal.

Briançon - Les Queyrelles, 16 août 1938.


Jean Giono, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Editions Bernard Grasset , "Vivre Libre, 1", 1938.

14.11.08

Critique slavonienne de la pensée nippone


Il n’y a rien de plus beau que des fesses japonaises lorsque le premier rayon de soleil les dore légèrement et qu’un vent doux souffle sur elles… Dieu, que la vie peut être charmante !


Viktor Pelevine, La Vie des insectes, Seuil, 1995.

12.11.08

Deux Russes et un troisième – pour Maupassant


Tourgueniev, pendant le séjour qu'il fit chez moi, en 1881, je crois, prit dans sa valise un petit livre français intitulé la Maison Tellier et me le remit.

"Lisez ça à l'occasion", me dit-il, du même ton détaché en apparence dont il se servit un an auparavant en me remettant la livraison de la revue la Richesse russe (Rouskoe Bogatstva) qui contenait un article de Garchine, alors à ses débuts. Evidemment, aujourd'hui comme alors à l'égard de Grachine, il craignait de m'influencer dans l'un ou l'autre sens et il désirait avoir mon opinion en toute indépendance.

"C'est un jeune écrivain français, dit-il, voyez, ce n'est pas mal ; il vous connaît et vous prise fort", ajouta-t-il, comme s'il voulait me disposer en sa faveur.

"Comme homme il me rappelle Droujinine ; comme lui c'est un excellent fils, un excellent ami, un homme d'un commerce sûr*, et de plus il est en relation avec les ouvriers, les dirige, les aide. Même sa manière d'être avec les femmes me rappelle Droujinine."


Léon Tolstoï, Guy de Maupassant, Posrednik (L'Anabase, pour la présente traduction), 1894.


(*) : en français dans le texte russe

6.11.08

Hors contexte


Si le prévenu n'avait pas eu l'intention d'offenser, mais seulement l'intention de donner une leçon de politesse incongrue, il n'aurait pas manqué de faire précéder la phrase "Casse-toi pov'con" d'une formule du genre "on ne dit pas".


Jugement du tribunal correctionnel de Laval, 6 novembre 2008.

3.11.08

Eternal Flame


A l'instigation - nouvelle - de Marie, les treize chansons en forme de réponses aléatoires (quoi de mieux pour Randomizm ?) nominées sont :


1. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? --> Break It On Down, de LL Cool J (oui enfin, je me verrais mal debout sur le toit d'une Gran Torino là tout de suite)

2. Comment les autres vous voient ? --> Tel, d'Alain Bashung ("Tel Guillaume Tell", ça ne s'invente pas pour qui se prénomme comme moi Guillaume)

3. Quelle est l’histoire de votre vie ?--> Street Spirit (Fade Out), de Radiohead (assez d'accord, surtout avec le passage où Thom Yorke chante "this strain I am under")

4. Quelle chanson pour votre enterrement ? --> Sleep-Murray Ostrill (They Don’t Sleep Anymore), de Godspeed! You Black Emperor (mais alors autant prévenir tout le monde tout de suite : ce titre dure vingt minutes)

5. Comment allez-vous de l’avant dans la vie ? --> End of Skies, de Ceschi ("Comment fuir le ciel quand il vous tombe dessus" dit le refrain - ça ne s'invente pas bis)

6. Comment être encore plus heureux ? --> Brandy Alexander, de Feist (Cheers!)

7. Quelle est la meilleure chose qui vous soit arrivée dans la vie ? --> 1988, de Blueprint (tout bien réfléchi, oui, la première victoire de Stefan Edberg à Wimbledon est une bonne chose - ah mince, ce n'était pas moi !)

8. Pour décrire ce qui vous ravit ? --> 365 cicatrices, de La Rumeur (là ça tourne au masochisme - Hamé support)

9. Votre boulot pour vous c’est… ? --> Alphabet City, de Clare & The Reasons ("Amène ton dictionnaire", dirait Fuzati)

10. Que devriez-vous dire à votre boss ? --> 400 On The BPM, de K-The-I ??? (mais c'est peut-être un peu violent, pour une mise en contexte voir ma récente
critique de l'album entier)

11. Pour vous, l’amour c’est… ? --> Automne malade, de Léo Ferré ("Directeur du feu et des poètes", Apollinaire fever)

12. Pour vous, la sexualité ça doit être… ? --> Baby’s Romance, de Chris Garneau (euh... doit-on systématiquement faire un commentaire ?)

13. Bloguer pour vous c’est… ? --> Beautiful Crazy, de Devin The Dude (disons qu'avec le gars Devin Copeland en fond c'est tout de suite beaucoup plus smooth d'être un nerd...)


Les heureux gagnants de la nouvelle opération tâche d’encre induite subséquemment sont :

- Emmanuel-Blaise et la bande
Au poil (pour rire en chantant)

- Nico-l'oiseau picard (parce que Franchement, il (a de bons goûts musicaux))

- L'indispensable Codotusylv(hein) du webzine musical qu'il nous faut Fake For Real (parce que ce sirop pour la toux-là n'est pas à proprement parler "des bonbons des cachous", n'en déplaise à Jonasz)

- L'équipe du Grognard (parce que, musique ou pas, le temps est à la neige)

- Les membres du Fric-Frac Club sévissant du côté d'A Country For Old Man (parce que leur chaîne doit balancer des basses)

- Et enfin le Claro en route Toward Grace (pour que ses riffs répondent à leurs raffs)


Rappel du thème :
“mettre son ipod en position aléatoire et coller les treize chansons qui sortent du chapeau aux treize questions suivantes, sans tricher bien sur !”

31.10.08

Le p'tit Lion


Je passe la journée à tracer dans le champ. Les filles se sont barrées on ne sait pas où, Johannes pète des câbles et moi je m'en fous. Moi j'enchaîne les tours de champ. Mes lunettes de soleil. Moi j'écoute du rap. Mais le rock'n'roll me va si bien. Je suis le Jura. Mais je suis la classe mondiale. Et vous vous moquez de moi et je vous comprends.


Pierric Bailly, Polichinelle, P.O.L, 2008.

29.10.08

Pays-Bas, suite : quand une coupure de courant fait grimper la natalité de 44 %


En décembre 2007, les hélices d'un hélicoptère Apache avaient sectionné accidentellement les câbles à haute tension alimentant les neuf villages de la commune. Pendant les deux jours de coupure, "de nombreux habitants ont trouvé l'hospitalité ailleurs, mais d'autres ont trouvé la chaleur entre eux".


Annelies van Eijkeren citée par une dépêche AFP du 28 octobre 2008 à 17 heures 43.

27.10.08

Péguy de père en fils – pour Ramuz


En 1904, paraissait Le Petit Village.

L'auteur, modestement, à la troisième personne, s'excusait : "Il a conscience d'avoir usé d'un vers déjà démodé et bien inharmonique... Il cherchait une forme qui fût maladroite, un peu rude et hésitante comme cela même qu'il avait trop grande ambition de vouloir peindre.".


Henri Rohrer, "L'Œuvre", in pour ou contre C.-F. Ramuz, cahier de témoignages, Cahiers de la quinzaine (sous la direction de Marcel Péguy), Editions du Siècle, 1926.

24.10.08

Les petites bavardes


Dis moi sont elles dénudées les petites bavardes qui te hantent?

J'ai une morsure à l'épaule et je voulais savoir avant, avant ma bouche, avant que tu vienne si elles sont dénudées tes préférées! Les petites bavardes.

J'irai les déshabiller devant un miroir, je te regarderai, j'irai devant toi comme un songe, une ode, et je serai blasphème.

Et tu le sais n'est ce pas ? que j'irai chercher plus que ta langue, j'irai piéger ton âme dans l'extase, j'attacherai tes poignets à la sueur. Je cambrerai tout si fort que ta mémoire anéantira tout ce qui n'est pas jouissance.


L'obscénité est innocence
annehonym

23.10.08

Re: Les visiteurs de ce blog...

...ont toujours de drôles de requêtes Google.


Florilège :

"pierre joxe vipere"
"les buveurs d'alcool dans les beaux arts"
"haikus lancez-vous"
"spoom manteau ballon"
"laurie au quick besancon"

19.10.08

Sex (& Love?) - Mood Organ Playlist, 2nd session

Deuxième Playlist imaginée dans le cadre du Mood Organ Playlist, une tentative saugrenue et illusoire de programmer des émotions musicales lancée par G.T. du blog Art-Rock.

Dédions cette liste à la météo, à l'été indien, au retour de l'automne, et aux femmes.

* Un titre ne passe pas sur la playlist. Le voici : Why Worry (Sugar Minott)

15.10.08

Avec la crise, les ventes de cravates s'envolent aux Pays-Bas


Des hommes qui viennent de perdre leur travail achètent une nouvelle cravate pour aller passer un entretien d'embauche. D'autres, un brin superstitieux, pensent que leur vieille cravate a cessé de leur porter chance et décident d'en changer.


Rashad Ajoeb cité par Foo Yun Chee et traduit par Nicole Dupont, dépêche Reuters du 14 octobre 2008 à 19 heures 14.

13.10.08

Pourquoi je lis lentement


Emile Zola, Arthur Conan Doyle, Jean Giono.

J'ai quatorze, quinze et seize ans.


Puis viennent les lectures compulsives dès l'instant de la découvrete : Primo Levi, Jean-Paul Sartre, Paul Ricoeur, Albert Camus, Emmanuel Mounier, Pierre Bourdieu, Manuel Vasquez Montalban, Jean-Patrick Manchette, Jean Echenoz, Michel Houellebecq, Serge Daney, William Faulkner, Charles Péguy, Guillaume Apollinaire, C.-F. Ramuz, Pierre Michon, Hubert Mingarelli, J. M. Coetzee, Régis Jauffret, Antoine Volodine.

Grosso modo : à chaque année ou semestre sa découverte, dans le temps qui lui est nécessaire - et la cohorte des autres livres laissés de côté.


Je lis lentement. Parfois, je relis. CQFD.

6.10.08





Emile, on dirait qu'il creuse ou qu'il se creuse, comme en transe ou comme un terrassier. Loin des canons académiques et de tout souci d'élégance, Emile progresse de façon lourde, heurtée, torturée, tout en à-coups. Il ne cache pas la violence de son effort qui se lit sur son visage crispé, tétanisé, grimaçant, continûment tordu par un rictus pénible à voir. Ses traits sont altérés, comme déchirés par une souffrance affreuse, langue tirée par intermittence, comme avec un scorpion logé dans chaque chaussure. Il a l'air absent quand il court, terriblement ailleurs, si concentré que même pas là sauf qu'il est là plus que personne et, ramassée entre ses épaules, sur son cou toujours penché du même côté, sa tête dodeline sans cesse, brinquebale et ballotte de droite à gauche.

Jean Echenoz, Courir, Minuit, 2008

3.10.08

Dans la mémoire de mon téléphone - deuxième


Huit façons de chercher la couleur, quatre mois durant, au nord de la Loire :

28.9.08

Lorsque vous me dites que vous n’aimez pas tout ce que je fais...



«Lorsque vous me dites que vous n’aimez pas tout ce que je fais, vous ne me choquez pas et je trouve cela au contraire parfaitement normal. Non pas que je croie à la musique que j’essaye de faire, mais parce que c’est cette musique-là que je veux faire. Vous me dites que mes hennissements sont anti-musicaux et que mes envolées dans les couinages heurtent l’oreille. D'accord, mais même si tous les gens fuyaient dès que j’embouche l’un de mes trois instruments, si aucune firme ne consentait à m’enregistrer et si je devais crever de faim pour jouer ce que je ressens, je continuerais à jouer. Parce que justement je le ressens..."

'Round Midnight
George Russel - Ezz-thetics - Eric Dolphy (saxophone alto), Don Ellis (trompette), David Baker (trombone), George Russell (piano, arrangeur), Steve Swallow (contrebasse), Joe Hunt (batterie) - 1961 - Riverside/OJC

Eric Dolphy - Interview Jazz Hot n°360 (Interview originelle Down Beat)

27.9.08

Markus Babeuf


Il était au point de départ de l'action. Debout à la fenêtre de son logement, il se trouvait dans l'incapacité totale de déterminer si la nuit était tombée. Du côté des événements passés, il revoyait un corps très frêle frémissant entre ses doigts. Il imaginait la rampe de l'escalier, derrière lui, toute de bois vermoulu. Arrivé en haut des marches il ouvrait à nouveau le dossier abîmé qui était calé sous son coude, le récit liminaire de la conjuration, le témoignage premier.

Tout à présent lui revient en mémoire : au moment de la puberté, on lui annonce qu'il est héritier d'une lourde charge symbolique. Puis on le place en insititution, avec des avantages dont il ne cesse de vouloir se débarasser. Malgré tous ses efforts, il devient rapidement le bouc-émissaire de tout le dortoir et subit des brimades répétées. Sa force de conviction, bizarrement, en ressort grandie. Il se persuade que le symbole qu'il porte mérite de passer outre ces épreuves. En un sens, il se considère comme un messie. Mais à mesure que les années passent, il ignore toujours ce qu'il est chargé de transmettre. Un texte mystérieux, contenu dans un dossier précieusement archivé, doit l'éclairer. Il a eu cette révélation dans un demi-sommeil. Il cherche ce dossier. Y compris dans sa mémoire. L'épisode de l'escalier vermoulu est une fausse route. De même, hélas, que l'épisode de la fine enveloppe charnelle qu'il agrippe avec délectation.

Il sera un jour considéré comme le précurseur du lendemain. Le faiseur de jardins. Pour l'heure il est seul, il doute et il a froid : c'est à la mesure de l'avenir qui l'attend, ainsi, partant, de celui auquel va s'exposer sa renommée. Il ne sait pas vers où aller, ni s'il doit croire ses pensées ou bien divaguer encore. Il est pourtant, de manière certaine, engagé sur le chemin qui conduit de la honte à la joie. Il ne se retournera pas dans sa course, de peur de tomber pour de bon.

21.9.08

Don't give up


All things can be refused. The next moment she turned toward her son. My child. He was ancient and implacable, a boy most beautiful. But no boy is mountain and lake and knowing this - (...) - she made a wish for him. Hold, hold.


Julia Leigh, Disquiet, Faber and Faber, 2008.

19.9.08

Agustin Derecho ?


Et l'idée lui est venue que les ténèbres de sa naissance trouvent peut-être là une expression supérieure. Il a, lui aussi, été conçu dans l'absence. Des procréateurs séparés depuis bien avant son enfantement ne lui ont même pas donné l'espoir d'être une dernière chance. Il est le produit d'entités hétérogènes, dont l'union relève de la fable, ou de cette histoire ancienne dont on ne sera jamais témoins.


Bertrand Schefer, L'Age d'or, Allia, 2008.

14.9.08

Interrogation

Mais que deviendront nos existences...
si le sexe abolit nos sens…?


Tirée de la chanson "S.I.D..." de Jann Halexander
Musique : Jann Halexander - Texte : Jann Halexander / Fabrice Gaillardon

13.9.08

Tant que cela ronronnait

L'existence d'Elizabeth, dès lors, se fissura, à sa grande surprise, elle pour qui le temps existait à peine et le réel moins encore, qui la força pourtant à procéder en toute hâte à de nombreux ajustements. Elle n'avait pas du tout la vie dont elle avait rêvé, petite fille, à Paris, jeune femme moins encore. Mais elle avait appris à s'en moquer, à n'en concevoir aucun regret. Depuis quinze ans, elle était la femme d'un homme qui la trompait, y compris avec des hommes, sans que cela ternisse l'attachement insolite, solitaire, impartagé qu'elle éprouvait à son égard - un homme auquel elle avait fait sexuellement allégeance au mépris de ses convictions sans que cette contradiction la trouble. De cela elle s'était nourrie, avait nourri son fils, de cela elle ne pensait pas grand-chose tant que cela ronronnait

Mathieu Riboulet, L'amant des morts, Verdier, 2008

11.9.08

(Tentative de) Narrat étrange


– Frères et sœurs ! Je parle au nom de vous tous.

Ils sont nombreux. Je ne peux pas tous les regarder. La couche de suie paraît maintenant plus sombre dans le fond de la pièce. Des lambeaux de tissu pendent depuis les coins des cadres. Le bruit d'un écoulement démarre puis s'interrompt immédiatement. Je ne sais plus où j'en suis de mon allocution. Je dis je mais il s'agit du Professeur Galcanis, tel que mon nom est inscrit sur la pancarte à l'entrée du bâtiment. Le toit est troué par endroits. Le visage de celle que je cherche des yeux a disparu dans l'assistance. Depuis des années maintenant, imaginer un contact avec un individu d'une autre espèce est passible de lourdes moqueries. Mais cela n'est pas le pire. Le contact, s'il est établi un jour, n'est pas validé en dernière instance. Qu'il s'agisse d'un rongeur ou de n'importe quelle autre entité, rien n'y fait.
Mon esprit me transmet l'impression que ces gens m'écoutent. Je ne parle pas. Ils écoutent ce que je vais éventuellement leur dire, mais mes lèvres bougent sans que j'émette un seul son. C’est peut-être parce que j'ai en tête le texte de cet immense tablette votive détruite sur ordre au début de ma carrière, il y a bientôt cent quarante-neuf ans – à moins que ce ne fut en songe :

Cette question
Vous l'amenez ici
Il faut la vie d'un saint
Il faut de l'émotion
Et du dévouement
Il faut du dévouement
Seul l'au-delà peut l'accorder
Et vous n'y pouvez penser
Si vous n'êtes pas le grain de sa terre
Ainsi les voies menant aux quartiers de la gloire
Ne sont que des recoins comparés
A la perfection qu'ont aperçu les prophètes
Et à laquelle j'ai pu accéder après eux
Cet océan de ténèbres
Ce sillon tortueux que j'ai emprunté
A travers les derniers domaines
Où ils vivent, où sont les plus grands
Une fois que vous vous y êtes trouvé
Vous allez penser que vous êtes fou
Que vous avez perdu la raison
Mais je vous le dis sans détour
Si vous poursuivez la discrète entaille
Au jour de votre mort naturelle
Vous entrerez dans ces ténèbres
Oui il y a un moyen pour vous
Pour vous tous et pour vous toutes
De fuir l’asile dans lequel on vous a mis
Ceux qui l'ont fait sont assis devant moi
Ils ont vu quelque chose de réel
De leurs propres yeux
Avec leur propre esprit
Sans avoir aucun doute
Rien ne perdure de leur ancien état
Tout en eux est céleste
Chacun d'entre eux et leur progéniture
Plus rien n'est à la nuit
Ils attendent leur souverain
C'était le pacte scellé
Du berceau au tombeau
Oui j'ai été ce témoin
Depuis les faubourgs jusqu'au fleuve
La question de savoir ce qu'on rapporte
Cette question je vous la pose en retour
Répondez-y avec franchise
Sans non-dit et sans esquive
Répondez-y


Elle et moi n'avons plus le droit de nous approcher, même en pensée. Je me souviens pourtant de la fois où nos bouches furent les plus proches. Un wagon nous emmenait le long d'une vallée encaissée. Le vent était faible et des troupeaux étaient visibles de loin en loin. La nuit n'allait pas tarder à tomber. Je savais que nous allions bientôt être écartés l'un de l'autre. Plus tard, m'ayant oublié un instant, elle pourrait se réjouir pour autrui. Ma peine allait être plus grande. Car je ne puis oublier son regard. Et nous ne pouvons pas nous voir. Je dois finir ce que j'ai débuté. Des centaines de paires d'yeux sont rivées sur moi et une rumeur suspecte, hostile même, commence à se faire entendre dans les rangs. Mon discours doit les sauver en leur disant que je le suis. Sauvé. Mais j'ignore si je le suis encore.
La procédure de coupure du système de chauffage vient d'être annoncée par une voix automatique. Des malades, atteints de maux qu'on croyait disparus, doivent être transférés dans une autre aile. Je sais que je dois conclure mon tour de parole ; je fixe la forme d'un visage et je ne m'en sens pas capable.

8.9.08

Dialogue en bord de mer





Dans Marius (Marcel Pagnol, 1931), à l'entame de la fameuse «Trilogie Marseillaise», Fanny est séduite par ledit Marius qui, lui, rêve de partir en mer. Dans Conte d’été (Eric Rohmer, 1996), le troisième des «Contes des quatre saisons», Gaspard tombe sous le charme de Margot qui envisage, elle, une vie tranquille.
Raisonnons en termes d’ancrage. Dans les années trente, Fanny finit par se sacrifier pour ne plus être l’ancre qui retient le bateau au long cours auquel aspire Marius depuis le port de Marseille. Une soixantaine d’années plus tard, c’est Gaspard qui opte pour un tout autre sacrifice, afin d’éviter d’avoir à choisir entre Margot et deux autres liaisons (Léna et Solène) : il lève l’ancre sur un bac et quitte Dinard pour Saint-Malo et au-delà, afin de saisir une occasion en or de dégoter du bon matériel musical.
Dans ces deux films, les données sont claires dès le départ. Avant que Fanny apprenne sa grossesse (ce qui interviendra dans le second volet, titré Fanny), elle sait déjà que l’avenir de sa relation avec Marius sera ceint de tristesse. Leur amour est impossible, la mer est trop forte. Elle a nourri la terre où ils sont nés. Destin, fatum et malédiction. Du côté de la Bretagne Nord, c’est après avoir constaté toute l’étendue du dillettantisme et de l’irrésolution de Gaspard que Margot lui accorde un baiser. L’une est troublée par le drame – elle aime malgré la faiblesse de l’élu de son cœur face aux éléments – et l’autre, attendrie par le vaudeville – elle aime à cause de la maladresse avec laquelle le garçon sensible aborde son existence.
Si les aspirations masculines sont un moteur, leur pouvoir de séduction doit pourtant s’adapter à l’histoire de l’émancipation féminine. Et si le cynisme s’installe dans le monde merveilleux de l’amour, on ne saurait dire de quel côté il penche.

5.9.08

Souvent je prends le prétexte d'une promenade dans les vignes pour marcher aussi longtemps que le fil noué de ma pensée en a besoin. Marcher longtemps permet aux pensées de ne plus s'enrouler sur elles-mêmes, de se fixer, par je ne sais quel mystère d'écriture sans encre. Comme si marcher c'était écrire. Comme si mes pas imprimaient les mots quelque part, mais où, je ne sais pas, pas dans la terre des vignes, mais dans une matière invisible autour de moi, étrangement solidaire de ma mémoire. Un dedans qui se met dehors. Je marche, le vent d'automne remue les rosiers au bout des rangées, je pose mes pensées, elles ne se rembobinent plus, elles sont écrites, inscrites, je me souviens d'elles. Aller et venir dans ces rangées de ceps, changer de lignes et de couleurs, d'un côté vers l'ouest, et retour à l'est, soleil en face, soleil derrière, et je me retourne, comme les nageurs font leurs longueurs, après avoir fait le tour des rosiers tiédis par le vent. Aller et venir, dans ces couleurs, et des lignes d'odeurs qui changent avec la saison, l'heure et le vent, penser en boustrophédon, à l'air, dehors. Dehors d'ailleurs tout est tellement plus douillé. Dedans je ne dois pas bouger. Dedans je dois garder mes distances, comme dit mon mari, rester droite, immobile, et surtout, ne pas trop parler. Ne pas trop en dire. Ne pas trop en faire. N'en fais pas trop, s'il te plaît, me demande souvent mon mari à bout de nerfs, avec une voix très basse tendue à l'extrême, comme tenue en laisse par l'envie de craquer. Je ne peux pas m'occuper de mon propre espace, chez moi, puisqu'il m'interdit de le faire. Je ne peux pas occuper mon propre espace, mon corps, puisqu'il m'interdit de nettoyer.


Emmanuelle Pagano, Les Mains Gamines, POL, 2008

2.9.08

Parfois, revenant avec elle dans un taxi, j'aperçois son visage, grand comme celui d'une miniature, au milieu du rétroviseur. Puis je distingue le mien, à son côté. Ou plutôt, je vois un type qui me ressemble. Comme ça la salit de n'être pas seule. C'est moi, naturellement, mais ça ne prouve rien. Puisque je me regarde, c'est que je suis un autre. Je voudrais assister, invisible, à sa vie, la guérir de moi.
Je suis un spectateur, et ce spectateur n'approuve pas ce qui se passe, même s'il est heureux.
Je crois qu'il faut tout l'aplomb et toute la muflerie des comédiens pour accepter sa vie, son bonheur, sans se haïr. Ainsi je me déteste souvent en me voyant à côté de Claude, parce que je ne suis pas le garçon le plus beau du monde, ni son amant, ni le plus fort en histoire ou en javelot.

Roger Nimier, Les Epées, Gallimard, 1948

30.8.08

"... Allons, soyez raisonnables, coupez-vous le bras"

Brian Evenson, La Confrérie des Mutilés, Le Cherche-Midi/Lot 49, Septembre 2008

29.8.08

"Choses" vues au cocktail des Inrockuptibles "Rentrée littéraire 2008"

(hier au soir, cinq hommes blancs)

1. Pierric Bailly (P.O.L, premier roman)
2. Régis Jauffret (Gallimard)
3. Christophe Claro (Cherche-Midi / Lot49 + Seuil / Fiction & Cie)
4. Tristan Garcia (Gallimard, premier roman)
5. Patrice Pluyette (Seuil / Fiction & Cie)


1. Casquette de velours côtelé beige. "En fait mes amis ne lisent pas de livres". MF Doom & Cannibal Ox.

2. Le même dix-huit mois après, moins de broussaille capillaire, plus de bouée. Avoue parfois tirer les adresses présentes dans ses romans de plans détaillant des villes où il ne s'est jamais rendu (à l'instar de votre serviteur).

3. Prolifique & débonnaire. Dénote autant qu'il en impose.

4. Effacé presque gêné. Confesse une correspondance musclée avec Didier Lestrade.

5. Enjoué et à l'écoute du peu d'écho du VIIème arrondissement. Rare.

26.8.08

(Teasing &) dialogue délétère


- Tu conduis toujours comme un sabraque
- Ce n'était qu'un bidon


Régis Jauffret, Lacrimosa, Gallimard, 2008.

21.8.08

Une des histoires sans fin de Fred Zenfl commençait ainsi


Je m'obstinerai dans mon système qui consiste à affirmer que l'extinction est un phénomène qu'aucun témoignage fiable n'a jamais pu décrire de l'intérieur, et dont, par conséquent, tout démontre qu'il est inobservable et purement fictif.


Antoine Volodine, "Fred Zenfl", in Des anges mineurs, narrats, Seuil, 1999.

15.8.08

La più grande montagna esistente sulla terra


Quand on jette quelque chose à la poubelle, il faut se dire que cela ne va pas se transformer en compost dont vont se gaver les rats et les mouettes, mais directement en actions de sociétés, en capitaux, en clubs de football, en immeubles, en flux financiers, en entreprises, en votes.


Roberto Saviano,
article paru dans "La Repubblica" et traduit de l'italien dans "Courrier International" du 10 janvier 2008 (n°897) :
{http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=81313}.

12.8.08

Dialogue dentaire


La vie, c'est comme une dent
D'abord on y a pas pensé
On s'est contenté de mâcher
Et puis ça se gâte soudain
Ça vous fait mal, et on y tient
Et on la soigne et les soucis
Et pour qu'on soit vraiment guéri
Il faut vous l'arracher, la vie


Boris Vian, "La vie c'est comme une dent" (poème composé entre 1951 et 1959, publié à titre posthume en 1962).

5.8.08

Parfait paragraphe


Mes parents étaient de pauvres diables, sans savoir et bien sûr sans sagesse, ils n'en avaient pas le loisir. Je crois que je les aimais. Ils louaient leurs bras et les miens, ceux de mes frères, chez les gros paysans des Castelli qui eux-mêmes n'avaient qu'un peu plus de grain en réserve, du porc sur leur table et sur leur paillasse s'ils le souhaitaient des filles jeunes et drues, mais avec du suint, sans azur à la gorge ni de dentelle aux cuisses : c'étaient de pauvres diables, eux aussi.


Pierre Michon, page 23 du Roi du bois, Verdier, 1996.

30.7.08

L'Internet avant l'heure


Car à quoi bon aller quelque part ? Tout était ici. En tournant simplement un bouton, on pouvait converser en face à face avec qui l'on voulait, on pouvait aller, en esprit sinon physiquement, où l'on voulait. On pouvait voir une pièce de théâtre, ou entendre un concert, ou bouquiner dans une librairie située à l'autre bout du globe. On pouvait régler toutes les affaires que l'on voulait sans bouger de son fauteuil.


Clifford D. Simak, "La tanière", in Demain les chiens (City), 1952.

27.7.08

Haunting, Weird & Insistent : Mood Organ Playlist


Haunting, Weird & Insistent : Mood Organ Playlist!

Playlist imaginée dans le cadre du Mood Organ Playlist, une tentative saugrenue et illusoire de programmer des émotions musicales lancée par G.T. du blog Art-Rock.

25.7.08

Après de nombreuses unités de ce genre, une chauve-souris vint folâtrer autour d'eux


On est au milieu des cendres de tout, on est au milieu des cendres et des souvenirs de tous et toutes, on avance dans le noir ou on reste accroupi pendant des heures ou pendant des jours et des nuits, avec pour tout bagage une solitude immense et l'espoir de l'histoire.


Lutz Bassmann, "Trois. La plongée", Avec les moines-soldats, entrevoûtes, Verdier, coll. chaoïd, 2008.
{http://www.lutzbassmann.org/}

18.7.08

Des studios guère épais


LES FILMS LES PLUS CHERS DE L'HISTOIRE DU CINEMA


1 VOYNA I MIR Sergei Bondarchuk (1967) : 560 millions de $
2 PIRATES OF THE CARIBBEAN: AT WORLD'S END Gore Verbinsky (2007) : 300 millions de $
3 CLEOPATRA Joseph L. Mankiewicz (1963) : 290,2 millions de $
4 SUPERMAN RETURNS Bryan Singer (2006) : 268,5 millions de $
5 SPIDER-MAN 3 Sam Raimi (2007) : 258 millions de $
6 TITANIC James Cameron (1997) : 250,2 millions de $
7 WATERWORLD Kevin Reynolds (1995) : 231,6 millions de $
8 QUANTUM OF SOLACE Marc Forster (2008) : 230 millions de $
9 PIRATES OF THE CARIBBEAN: DEAD MAN'S CHEST Gore Verbinsky (2006) : 223,1 millions de $
10 TERMINATOR 3: RISE OF THE MACHINES Jonathan Mostow (2003) : 219,5 millions de $

Extrait du weblog "La lumière vient du fond" {http://maydrick.over-blog.com/}, mise à jour du 7 juillet 2008.

12.7.08

Booker Little - Man of Words



"Les auditeurs peu habitués à cette musique disent du jazz que c'est un martèlement continu, et je dois dire que je le pense un peu aussi. Il y a tellement d'émotions qui ne passent pas de cette façon... Beaucoup de sensations auraient sans doute pu être mieux exprimées sans cette pulsation. À l'heure actuelle, si tu veux exprimer la tristesse ou la mauvaise humeur, tu joues du blues. Mais on peut le faire autrement."

Booker Little (1938 - 1961)
D'après l'interview pour "Metronome" réalisé par Robert Levin au printemps 1961.


Man of Words
Booker Little (trumpet), Julian Priester (trombone), Eric Dolphy (alto sax), Don Friedman (piano), Art Davis (bass), Max Roach (drums)

Extrait de l'album Out Front, publié chez Candid en mars 1961, sept mois avant de succomber à une crise d'urémie à l'age de 23 ans.

8.7.08

Le rail c'est la vie

une fois son sandwich terminé mon compagnon extirpe de son bagage un fort volume broché, une sorte de catalogue qu'il se met à consulter fébrilement, sautant d'une page à l'autre, un doigt sur des colonnes de chiffres, puis retour à la page antérieure, il regarde sa montre avant de jeter un regard courroucé par la fenêtre, il fait nuit, il ne peut rien voir, il reprend son livre, il me regarde souvent avec un air interrogateur, il brûle de me poser une question, il me demande savez-vous si le train s'arrête à Tetschen ? ou du moins c'est ce que je crois comprendre, je lui baragouine en allemand que je n'en sais absolument rien, mais que c'est fort probable, c'est la dernière ville tchèque avant la frontière, sur l'Elbe, l'homme parle allemand, il est d'accord avec moi, le train doit s'arrêter à Tetschen, même s'il n'y prend pas de passagers, wissen Sie, me dit-il, si nous descendions à Tetschen, nous pourrions monter dans le train de marchandises qui est parti de Brno cet après-midi un peu avant dix-sept heures, il nous laisserait à Dresde aux alentours de deux heures du matin et nous pourrions rattraper ce train-ci dont le départ n'est pas prévu avant trois heures moins le quart, c'est incroyable, convenez-en - j'en conviens, l'homme poursuit, son catalogue est en fait un gigantesque horaire de chemins de fer, il y a tous les trains ici, vous m'entendez, tous, c'est un peu compliqué à utiliser mais quand on s'y fait c'est pratique, c'est pour les professionnels du rail, par exemple nous venons de croiser un train dans l'autre sens il est vingt et une heures vingt-trois eh bien je peux vous dire d'où il vient et où il va, si c'est un convoi de passagers ou de fret, avec un tel livre vous ne vous ennuyez jamais quand vous voyagez en train, dit-il l'air manifestement très heureux, comment se fait-il qu'il ne sache pas si le train s'arrête à Tetschen, eh bien c'est très simple, très simple, voyez, l'arrêt est entre parenthèses, ce qui signifie qu'il est optionnel, mais le passage est signalé, donc nous avons la possibilité de nous arrêter à Tetschen, nous avions une autre possibilité d'arrêt il y a quelques minutes et vous ne vous êtes rendu compte de rien, vous ne vous êtes même pas aperçu que nous aurions pu nous arrêter là, wir hatten die Gelegenheit, vous voyez que ce livre est merveilleux, il permet de savoir ce que nous aurions pu faire, ce que nous pourrions faire dans quelques minutes, dans les heures qui viennent, voire plus, le regard du petit bonhomme tchèque s'éclaire, toutes les éventualités sont dans cet horaire, elles sont toutes là - le conducteur de la locomotive ne peut que s'en remettre à lui, je vais vous donner un exemple, je sais que vous allez à Paris et donc vous allez changer à Francfort pour prendre l'Intercity de huit heures du matin, entre-temps vous aurez mangé des Brotschen et une saucissse à la gare, puis à votre arrivée vous vous rendrez certainement à votre domicile 27, rue Eugène-Carrière dans le 18e arrondissement de Paris où vous parviendrez fatigué à quinze heures vingt-trois, vous déposerez vos valises prendrez une douche rapide et deux solutions s'offriront alors à vous, aller au bureau immédiatement ou attendre le lendemain matin, chaque possibilité aura ses avantages et ses inconvénients, si vous allez boulevard Mortier vous ne serez pas chez vous quand quelqu'un sonnera à votre porte à dix-sept heures quarante-huit, mais si vous restez l'intervention de cette jeune personne et la nouvelle qu'elle vous apporte vous feront oublier une partie des informations à inclure dans ce dossier secret, ce répertoire de morts que vous montez depuis quelque temps en utilisant plus ou moins illégalement les moyens que la Sécurité extérieure met à votre disposition, vous voyez tout est écrit ici, pages 26, 109 et suivantes, dans les deux cas, que vous soyez présent ou non, la prochaine correspondance sera page 261 de l'horaire, l'express Venise-Budapest, où vous vous enivrerez en chantant Trois jeunes tambours, puis page 263 vous monterez dans un wagon de marchandises en direction du camp d'extermination de Jasenovac sur la Save, puis page 338 dans un train Benghazi-Tripoli, vous voyez, l'express Tanger-Casablanca se trouve page 361, tout cela vous mènera à la page 480 et la perte d'un rejeton que vous ne connaîtrez pas, et ainsi de suite, toute votre vie est là, de nombreuses correspondances vus amèneront doucement, presque à votre insu, dans un train ultime Pendolino diretto Milano-Roma qui vous portera à la fin du monde, prévue à la gare de Termini à vingt et une heures douze, j'écoute la litanie ferroviaire du petit bonhomme avec attention, il a raison, ce catalogue est un outil magnifique

Mathias Enard, Zone, Actes Sud, août 2008

4.7.08

Sa parole


Marguerite d’Eros pour le lascif et ses ferveurs.


Fernando Arrabal, "Le clitoris".

1.7.08

From Hollygrove to Hollywood

You watch me / Cause I be / Weezy / Merci / TV / C-3 / Thats me


Lil Wayne, "3 Peat", Tha Carter III, Cash Money Records, 2008.

24.6.08

Dialogue circulaire


Par-dessus l'échine des monts Eber, un nuage grandissait ; on aurait dit un cheval noir.

- Les morts ont faim, murmura Scheckenschlager, regardant lui aussi le cheval hirsute qui ruait des quatre fers.
- Vous êtes fou.
- Qui, moi ?
- Oui, vous, pas moi ! Et vous avez peur. Tout le monde a peur ici, ce me semble.

Le vieux réagit avec fureur.

- Comment ! Peur ? Votre père ! Oui, lui ! Lui, il a eu peur ! Mais nous...

Le cheval céleste s'était cabré. Sa crinière noire flottait dans le vent. De lourdes gouttes isolées s'écrasèrent.


Hans Lebert, La peau du loup (Die Wolfshaut), Jacqueline Chambon éd., 2002 [texte de 1965].

21.6.08

"... je sais que j'ai un visage uniquement parce que je me sens sourire"


"... et je sais que c'était juste un camionneur et non un héros"


J Eric Miller (traduit par Claro), Décomposition, Le Masque, Août 2008

19.6.08

Hurlons, dit le chien


A la fin de l'exercice, on te dira que tu as menti, tu nieras, tu jureras que tu as dit la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, et ce sera peut-être vrai, tu n'as pas menti, ce qui se passe c'est qu'il se trouve que tu es une personne nerveuse, avec une forte volonté, certes, mais à la façon d'un jonc tremblant que la moindre brise fait frissonner, on t'attachera alors de nouveau à la machine et cette fois ce sera bien pire, on te demandera si tu es vivant et tu répondras oui, évidemment, mais ton corps protestera, il te démentira, le tremblement de ta mâchoire dira que non, que tu es mort, et qui sait si ton corps n'a pas raison, peut-être sait-il avant toi qu'on va te tuer.


José Saramago, La lucidité (Ensaio sobre a Lucidez), Seuil, 2006.

16.6.08

Dialogue autour d'un verre


Selon Kingsley Amis, la gueule de bois métaphysique est "cet indicible composite de dépression, de tristesse (ces deux derniers étant distincts), d'anxiété, de haine de soi, de sensation d'échec et de peur de l'avenir".


"The New York Times", dimanche 15 juin 2008.

13.6.08

L'éclat


Elles ne lui étaient pas destinées. Ni cette lettre ni cette femme. Contre sa poitrine il sent les feuillets se courber. L’enveloppe ne sera jamais décachetée. Il regarde s’agiter le chapeau du mari. La lettre est pour la femme. Elle ne sera jamais remise. S’il l’avait écrite à temps, peut-être aurait-il pu modifier le cours des choses, repousser l’échéance, compromettre le mariage de sa bien-aimée. Mais aujourd’hui il est ici, entouré de convives, statique, les pieds sur un banc. Inattentif aux consignes du photographe que cherche à relayer l’époux. La messe vient de laisser place à cette nouvelle cérémonie, presque aussi longue, aussi inhumaine, aussi triste. Le maître de cette cérémonie ne cesse de lever puis rabaisser un voile foncé au-dessus de sa tête. A mesure que se répètent ses allées et venues autour du trépied en bois, ses mouvements gagnent en rythme. Tel un torero, il se dandine tantôt courbé tantôt droit comme un i. La mise au point de l’appareil s’éternise. Les enfants ne sont pas longs à s’impatienter. Leur mouvement perpétuel angoisse. Dès les premières minutes un conseil improvisé décide qu’ils seront absents des clichés. Dans le centre du groupe, vers le haut et la gauche, lui ne bouge pas. S’il en juge par le pouvoir d’hypnose qu’exerce sur lui le chapeau nuptial, il ne saurait être flou. Pas un mouvement du crâne ni des membres : la machine va capter un signal d’une limpidité sans pareille. Seule la cage thoracique bat la chamade, ce qui est invisible à l’œil indifférent. Les existences doivent pourtant connaître un plus beau trajet que ce fleuve de boue, qui prend sa source à cet instant pour lui.
Le photographe est à l’agonie, ses répliques intérieures claquent les unes à la suite des autres. J’effectue un dernier réglage. J’actionne le déclencheur. Je dis la phrase du petit oiseau et je rentre me coucher. Le produit réagit dans un nuage blanc éblouissant et un bruit de sac de farine qu’on éventre.



Les particules volent dans les airs telles des luges en forêt. Comment a-t-il pu penser un seul instant que la missive sur son torse serait un bouclier contre quoi que ce soit ? La lettre est un poignard. La poudre n’est pas toute retombée que son cœur est transpercé de part en part. L’organe s’écroule sur lui-même. Il est soudain énorme puis minuscule, ses tissus calcinés, sa chair vitale vitrifiée comme sous l’action d’une pâte de dynamite. Son propriétaire moribond vacille. Un long soupir traduit son tourment et peine à en couvrir l’ampleur. Mais la foule de toutes façons s’agite. Personne n’a fait attention. Certains ont sursauté plus que de raison en voyant la décharge lumineuse. D’autres sont pressés de retrouver quelqu’un. Des têtes ont pivoté mais de manière très furtive, encore domptées par les cris du photographe. Toujours dans la même direction, regardez toujours dans la même direction ou votre visage sera effacé. Vous serez venus pour rien. Il fixe toujours le chapeau, mais le chapeau n’est plus là. A sa place est un regard, le regard de la femme qui désormais ne l’atteint plus. Il ne voit pas qu’elle pleure. Qu’elle échoue à le dissimuler. Sa robe se macule pour quelques secondes, presque rien, d’une tâche oblongue. Couleur gris clair. Deux doigts gantés de dentelle viennent se poser à l’endroit précis, sur cette forme infime évoquant une cible. Elle ressent alors la circulation de son sang comme une entaille qui suppure. Elle seule perçoit le brouillard qui s’étend depuis l’éclair. Soudain on emmène au loin l’épouse, elle tourne la tête mais rien n’y fait. Il est parti. Elle devra avoir essuyé ses deux larmes quand elle entendra encore ce son qui persiste. Un écho dans les limbes. Sombre, insensé.

10.6.08

There There


Perhaps the most terrible (or wonderful) thing that can happen to an imaginative youth, aside from the curse (or blessing) of imagination itself, is to be exposed without preparation to the life outside his or her own sphere - the sudden revelation that there is a there out there.


Tom Robbins, Jitterbug Perfume, Bantam Books, 1984.

8.6.08

Métaphysique du cuivre

Johnny a abandonné le langage hot parce que ce langage violemmenr érotique était trop passif pour lui. Chez lui, le désir s'oppose au plaisir et l'en frustre parce que le désir le force à aller de l'avant et l'empêche de considérer comme des audaces les trouvailles du jazz traditionnel. C'est pour cela, je crois, que Johnny n'aime pas beaucoup les blues ou le masochisme et les nostalgies... Mais j'ai parlé de tout cela dans mon livre, et j'ai montré comment le renoncement à la satisfaction immédiate avait amené Johnny à élaborer un nouveau langage qu'il poussait aujourd'hui, avec d'autres musiciens, jusque dans ses derniers retranchements. C'est un jazz qui rejette tout érotisme facile, tout wagnérisme si je puis dire, et qui se situe sur un plan désincarné où la musique se meut enfin en toute liberté comme la peinture délivrée du représentatif peut enfin n'être que peinture. Mais une fois maître de cette musique qui ne facilite ni l'orgasme ni la nostalgie, cette musique que j'aimerais pouvoir appeler métaphysique, Johnny semble vouloir l'utiliser pour s'explorer lui-même, pour mordre à la réalité qui lui échappe un peu plus chaque jour. C'est en cela que réside le haut paradoxe de ston style, son agressive efficacité. Incapable de se satisfaire, il est un éperon perpétuel, une construction infinie qui ne trouve pas son plaisir dans l'achèvement mais dans l'exploration sans cesse reprise, l'emploi de facultés qui dédaignent ce qui est immédiatement humain sans rien perdre de leur humanité. Et quand Johnny se perd, comme ce soir, dans la création infiniment recommencée de sa musique, je sais très bien qu'il n'échappe à rien.
(...)

Alors Johnny est arrivé et il nous a promené sa musique sur la figure un quart d'heure durant. Je comprends que l'idée que l'on publie Amorous puisse le mettre en fureur, les imperfections sont visibles à l'oeil nu, le halètement qui accompagne certaines fins de phrases est parfaitement audible et surtout le terrible couac final, cette note sourde, et brève qui m'a fait penser à un coeur qui éclate, à un couteau qui rentre dand un pain (...). Mais ce que Johnny ne percevrait pas et qui est insoutenablement beau, c'est cette angoisse qui cherche une issue dans cetet improvisation qui fuit de tous les côtés, qui interroge, qui gesticule désespérément. Jonny ne peut pas comprendre : ce qui lui paraît être un échec est pour nous une voie ou tout au moins l'amorce d'une voie. Amorous restera un des grands moments du jazz. L'artiste qui est en Johnny sera fou de rage chaque fois qu'il entendra cette caricature de son désir, de tout ce qu'il a voulu dire pendant qu'il luttait, chancelait, pendant que la salive lui échappait de la bouche en même temps que la musique, plus seul que jamais face à ce qu'il poursuit, à ce qui le fuit à mesure qu'il le traque. C'est curieux, il m'a fallu écouter Amorous pour comprendre, bien qu'il y ait déjà eu d'autres indices, que Johnny n'est pas une victime, n'est pas un pauvre pérsécuté, comme tout le monde le croit. Je sais maintenant que ce n'est pas vrai. Johnny n'est pas le poursuivi mais le poursuivant, tout ce qui lui arrive dans la vie sont des malchances de chasseur et non d'animal traqué. Personne ne peut savoir ce que poursuit Johnny mais c'est ainsi, c'est là, dans Amorous, dans la marijuana, dans ses discours absurdes, dans ses rechutes, dans le petit livre de Dylan Thomas, dans cette façon d'être un pauvre diable qui élève Johnny au-dessus de lui-même et en fait une absurdité vivante, un chasseur sans jambes et sans bras, un lièvre qui court derrière un tigre endormi.

Julio Cortazar, L'Homme à l'affût, in Les Armes Secrètes, 1959

5.6.08

Dialogue de Jean qui rit et Jean qui pleure



Nous sommes encore au tout début du siècle qui vient. Certains disent : du millénaire. En novembre, Michel Jonasz fait paraître un disque dont la pochette le présente enfant, souriant, au milieu d’un décor urbain en effet très urbain : Michel et son petit tambour, la sœur de Michel et son ours en peluche, l’ensemble en apparence colorisé comme les vieux films et derrière eux le sépia des années cinquante, fauteuils en osier et voitures dont les marques sont vos amies. En décembre de la même année, soit sept semaines plus tard, Alain Bashung sort quant à lui un album à la couverture on ne peut plus sobre. Pas de texte, seule une photographie en noir et blanc où il figure debout, majestueux et grave, au milieu d’un sous-bois.

Pour différents qu’ils paraissent, ces deux disques ne cessent pourtant de s’entremêler dans l’esprit de qui les écoute, tout à tour, à distance, de temps en temps. « L’irréel », destination suspendue vers laquelle Bashung se promet d’aller en répétant la question « Y seras-tu ? », lorgne un temps sur la bande-son d’un surprenant film muet, puis, avant de laisser place à un poème énervé de Robert Desnos, donne sur une passerelle menant aux doux accords du « Modern Hôtel », ballade dans laquelle Jonasz se montre autant écrivain des notes que des larmes : « Le Modern Hôtel / Une parenthèse dans nos mémoires / Presque irréelle / Tu t’en rappelles ». Cela a beau être irréel, nous ne sommes pas moins passés de l’un à l’autre. Du rire aux larmes.

Et ce rire et ces larmes, cette larme écrasée sous les rires, ces mouvements d’humeurs ne sont pas nécessairement distribués comme on pourrait s’y attendre. Contrairement à ce que laissaient présager les pochettes, par exemple, celui qui rit (certes de manière sardonique) est bien Bashung et celui qui pleure, Jonasz. L’opus de Alain-Jean-qui-rit, « L’imprudence », est une exhortation à la révolte intérieure, une ouverture à fond les ballons des valves vitales. L’oeuvre de Michel-Jean-qui pleure, « Où vont les rêves », elle, est un gros chagrin devant la beauté amoindrie d’une nostalgie pratique. « Désormais je me dore / à la crypte des monastères / je me dore à l’ordinaire / à tombeau ouvert / à la chaleur humaine » dit le rieur dans un cri de hyène ; « J’arrive à huit heures précises / Au bureau de l’entreprise / Et la vie qui m’paralyse / Comme pour tout le monde » lui répond le pleureur de la porte de Vanves.

3.6.08

En indivision


« Je crois que les Français [...] se sentent heureux individuellement, mais sentent la France malheureuse. Et je crois que leur niveau d’épargne y est pour quelque chose. »


André Coisne à Brigitte Jeanperrin, France Inter, rubrique "Entreprises et Stratégies" de l'émission quotidienne Le 7-9, mardi 4 octobre 2005 entre 7h50 et 7h53.

1.6.08

Dans la mémoire de mon téléphone

Huit variations de gris, ces six derniers mois, dans quatre directions :









30.5.08

Du plagiat considéré comme l'un des beaux-arts

Vous avez Jean Echenoz qui, dans son roman Cherokee, s'est amusé à piller éhontément Jean-Patrick Manchette (je ne suis pas entrain de balancer un ami, il s'en est beaucoup vanté lui-même).
Vous avez François Bon qui dit en riant qu'il "sample" amicalement, de-ci, de-là, dans ses livres, un morceau d'Echenoz.
Vous avez évidemment le grand Alain Bashung qui chante "l'année dernière à marée basse", "excuse-moi part'naire", "le long des golfes pas très clairs", ou qui crie "alcaline, sur la plage".
Et vous avez, par exemple, moi, qui emprunte à ce Bashung un couplet de son "Samuel Hall" pour le coller dans une de mes nouvelles, paroles signées Olivier Cadiot, et quand je vois Cadiot et lui en parle, il me répond avoir lui-même emprunté toutes ces phrases dans un vieux polar de Jim Thompson.




Jacques Serena, L'année dernière à marée basse, Le Matricule des anges numéro 056, septembre 2006

28.5.08

A l'heure où s'allongent les ombres

Elle va de l'avant et regarde derrière elle,
constate qu'il existe seulement un lien ténu
entre le temps et la douleur
certaines choses ne s'en vont pas,
les blessures ne guérissent pas,
elles se trouvent simplement leur place dans notre ventre
et dans nos os
où elles se nichent et frémissent,
se tournent et se retournent sous nos doigts et nos côtes
en attendant de se réveiller
à l'heure où s'allongent les ombres

(...)


La seule raison de se lever, c'est les chiens
Anthony ne déborde pas de passion pour ce boulot
ses collègues sont idiots
ils sentent le détergent
ils veulent l'inclure dans leur clan
Calley, Masson, Malone,
Quand il les regarde
dérouiller les chiens,
Anthony reste à l'écart en fumant
et pense que la haine et l'amour sont équidistants
dans la chair et hors de la chair,
voilà pourquoi on dit des gens aimables
qu'ils ont bon coeur,
tandis que des salopards comme eux
tout bonnement écœurent.





Toby Barlow, Crocs, Grasset, 2008

25.5.08

The son of a man has no place to lay his head

I took her plate and dumped the piece of fish alongside the steak. A portion of bird meat would have completed the circle. It wasn't exactly a happy meal but I cleaned my plate. If you live on the railroad tracks the train's going to hit you, Grandpa used to say.


Jim Harrison, "Brown Dog", The Woman Lit by Fireflies, Washington Square Press, 1990.

23.5.08

Forcément

Personne ne s'est inscrit pour la chorale
l'animateur
est anthropophage
(...)



L'idiot perd son survêtement
il n'aurait pas du
vendre l'élastique
(...)






Lutz Bassmann (Antoine Volodine), in Prison, Haïkus de prison, Verdier, 2008

21.5.08

I Will Truck



Je crois savoir de quoi il s'agit. L'Opéra Rock de ce début de siècle.



Extrait de The Getting Address, 2005, The Dirty Projectors, illustré par un film d'animation de Dave Sumner.

18.5.08

Le terrible aveu











LE COFFRET ET LA CLE

Je ne sais absolument pas de quoi il s'agit.


David Lynch (à propos d'un élément resté mystérieux dans son film Mulholland Dr.), Mon Histoire vraie (Catching The Big Fish, 2006), Sonatine Ed., 2008.

16.5.08

Le regard des femmes

Toutes les femmes détiennent une petite racine d’indestructibilité, et le travail des hommes a toujours été de faire en sorte qu’elles s’en aperçoivent le plus tard possible. Les hommes africains sont aussi doués que les autres pour cet exercice, mais à bien regarder les femmes africaines, je ne les jouerais pas forcément gagnants. -

Chris Marker, Sans Soleil - Documentaire français, 1983 - Voix off : Florence Delay

14.5.08

"La réalité est dada"

"Je suis un type à qui les excentricités n'iraient pas très bien"
(...)

"D'une façon vulgaire, on pourrait dire que mon adhésion à la théorie révolutionnaire est accompagnée de l'idée que rien ne m'oblige néanmoins à vivre d'une façon désagréable"
(...)

"Il y a des moments où je souhaite très vivement la conservation du capitalisme"
(...)

"Il est épineux d'être un dirigeant. Il faut créer sans cesse une demi-réussite assortie d'un échec total, pour conserver son pouvoir"
(...)

"La réalité est dada. On le vérifie chaque jour à la télé, et c'est l'intérêt majeur de cette machine, après la diffusion de vieux films américains"
(...)

"Bref, j'attends avec un impatience de faire fortune. L'honnête aisance est un quart de libération. La demi-libération, c'est lorsqu'une heure de votre temps vaut plus que ce que vous pouvez dépenser en une heure. La liberté c'est quand la valeur disparaît - du moins la valeur quantifiée universelle du temps"
(...)

"Lecture du CAPITAL. Une si magnifique critique qu'il me vient non des érections mais de merveilleux éclats de rire"
(...)

"Melissa et moi fatigués. Je ne sais ce qu'on a à etre fatigué comme ça. A part qu'il y a de quoi - cette existence est fatigante"

Jean-Patrick Manchette, Journal 1966-1974, Gallimard, 2008

12.5.08

Il s'agit de Jean Eustache, le réalisateur


C'est rue Champollion, dans un obscur deux-pièces qu'il a emprunté à une fille partie rejoindre un ami qui travaille dans une usine à Besançon. Damien habite un autre appartement sombre, rue des Batignolles, mais il a voulu se donner l'impression d'aller mieux en changeant de quartier.

(...)

L'étroite petite rue Champollion, sombre et pavée, est vide. Je comprends tout à coup pourquoi je rêve parfois que Damien m'y poursuit en chaussons. C'est un petit signe moqueur qu'il m'adresse dans mon sommeil pour me signifier qu'il n'a jamais eu l'intention de vivre vieux, en pantoufles. Comment, en effet, imaginer Damien grand-père ?

La place de la Sorbonne est envahie par de jeunes touristes. Ils boivent un coca aux terrasses des cafés avant d'aller acheter des T-shirts boulevard Saint-Michel et des cartes postales représentant des tableaux d'Egon Schiele, au centre Beaubourg.


Lucile Laveggi, Damien, Gallimard, "L'infini", 2000.

10.5.08

Petite (en écho à Lou)

Tu as des yeux d'enfant malade
Et moi j'ai des yeux de marlou
Quand tu es sortie de l'école
Tu m'as lancé tes petits yeux doux
Et regardé pas n'importe où
Et regardé pas n'importe où

Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrai le verbe "aimer"
Qui se décline doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme le jour qui va baissant
Comme le jour qui va baissant

Tu as le col d'un enfant cygne
Et moi j'ai des mains de velours
Et quand tu marchais dans la cour
Tu t'apprenais à me faire signe
Comme si tu avais eu vingt ans
Comme si tu avais eu vingt ans

Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrai à tant mourir
A t'en aller tout doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme le jour qui va mourant
Comme le jour qui va mourant

Tu as le buste des outrages
Et moi je me prends à rêver
Pour ne pas fendre ton corsage
Qui ne recouvre qu'une idée
Une idée qui va son chemin
Une idée qui va son chemin

Ah! petite Ah! petite
Tu peux reprendre ton cerceau
Et t'en aller tout doucement
Loin de moi et de mes tourments
Tu reviendras me voir bientôt
Tu reviendras me voir bientôt

Le jour où ça ne m'ira plus
Quand sous ta robe il n'y aura plus
Le Code pénal

Léo Ferré, Petite, Récital à Bobino (Barclay - 1969), Amour Anarchie (Barclay - 1970)

8.5.08

lost lost lost

Ta jupe est trop courte
J'y vois des dessins j'y vois des années
Le trouble qui va te défigurer
Ta jupe est trop courte
Je ne peux plus imaginer

Tu marches trop vite
Je vois des chameaux au fond du désert
Qui crèvent de soif c'est l'été l'hiver
Tu marches trop vite
Je ne peux plus imaginer

Les gens te regardent
Je voudrais les mettre au fond de ta gorge
Et tu les rendrais avec du jasmin
Celui qui te montre et me rend malade
Les gens te regardent
Je ne peux plus...
Je ne peux plus imaginer

Ta jupe est trop courte
Tu marches trop vite
Les gens me regardent
Me regardent t'imaginer

Il manque quelque chose
Il manque quelque chose à cette ville obscène
Et c'est toi qui me manque
Et c'est toi qui me manque

Ta jupe est trop courte
J'y monterais bien au-dessus des toits
New-York ce matin n'avait plus que toi
Ta jupe est trop longue
Et j'imagine
Et j'imagine
Et j'imagine des étangs

Tu nages trop vite
Je vois des parfums je sens ta fatigue
Je crève de toi je crève de moi
Tu nages trop vite
Et je ne peux qu'imaginer


Les gens font la queue
A n'importe qui à ton odeur sûre
Tu leur donneras tes mûres pas mûres
Tu marches trop vite
Donne-moi la main tiens-moi sur ta carte
Regarde là-bas la rouge pancarte
Défense de vivre
Les flics nous regardent

Il manque quelque chose à Amsterdam ce soir
Et c'est toi mon amour
Toi qui cours dans mes veines

Je t'ai perdue... et tu me manques...

Je ne peux plus t'imaginer...

Toi l'héroïne... Toi l'héroïne...

De mon roman d'amour


Léo Ferré, Le Manque, On est pas sérieux quand on a dix-sept ans, 1987.

6.5.08

Zoologie fantastique : Un croisement

J'ai un animal curieux, moitié chaton, moitié agneau. C'est un héritage de mon père. En ma possession il s'est entièrement développé ; avant il était plus agneau que chat. Maintenant il est à moitié-moitié. Du chat il a la tête et les griffes, de l'agneau la taille et la forme ; de tous deux les yeux, qui sont sauvages et pétillants, la peau suave et ajustée au corps, les mouvements ensemble sautillants et furtifs. Couché au soleil, dans le creux de la fenêtre, il se pelotonne et ronronne ; à la campagne il court comme un fou et personne ne peut l'atteindre. Il fuit les chats et il veut attaquer les agneaux. Durant les nuits de lune sa promenade favorite est la gouttière du toit. Il ne sait pas miauler et il déteste les souris. Il reste des heures et des heures à l'affût devant le poulailler, mais il n'a jamais commis d'assassinat.

Je le nourris avec du lait ; c'est ce qui lui réussit le mieux. Il boit le lait à grandes gorgées entre ses dents d'animal de proie. Naturellement, c'est un vrai spectacle pour les enfants. L'heure de la visite est le dimanche matin. Je m'assieds avec l'animal sur mes genoux et tous les enfants du voisinage m'entourent.

On pose alors les questions les plus extraordinaires, auxquelles personne ne peut répondre : Pourquoi il n'y a qu'un seul animal de cette sorte, pourquoi c'est moi son maître et non pas un autre, s'il y a eu avant un animal semblable et qu'arrivera-t-il après sa mort, s'il ne se sent pas seul, pourquoi il n'a pas d'enfants, comment il s'appelle, etc. Je ne prends pas la peine de répondre : je me limite à montrer ce que je possède, sans autre explication. Quelquefois les enfants amènent des chats ; une fois ils ont été jusqu'à amener deux agneaux. Contre leurs espérances, il n'y a pas eu de scènes de reconnaissance. Les animaux se regardèrent avec douceur de leurs yeux d'animaux, et ils s'acceptèrent mutuellement comme un fait divin. Sur mes genoux l'animal ignore la crainte et l'instinct de poursuite. Blotti contre moi, c'est ainsi qu'il se sent le mieux. Il s'attache à la famille qui l'a élevé. Cette fidélité n'est pas extraordinaire : c'est l'instinct naturel d'un animal qui, ayant sur la terre d'innombrables liens politiques, n'en a pas un seul consanguin, et pour qui l'appui qu'il a trouvé chez nous est sacré.

Quelquefois je dois rire quand il renifle autour de moi, quand il s'emmêle dans mes jambes et ne veut pas s'éloigner de moi. Comme s'il n'avait pas assez d'être chat et agneau, il veut être chien. Une fois - ceci arrive à tout le monde - je ne voyais pas le moyen de sortir de difficultés économiques, j'en étais au point d'en finir avec tout. Cette idée en tête je me balançais dans le fauteuil de ma chambre, l'animal sur mes genoux ; j'ai pensé à baisser les yeux et j'ai vu des larmes qui gouttaient dans ses grandes moustaches. Etaient-ce les siennes ou les miennes ? Ce chat à l'âme d'agneau a-t-il l'orgueil d'un homme ? Je n'ai pas hérité gros de mon père, mais ce legs vaut la peine qu'on en prenne soin.

Il a l'inquiétude des deux, celle du chat et celle de l'agneau, bien qu'elles soient très différentes. C'est pourquoi il est mal à l'aise dans sa peau. Quelquefois il saute vers le fauteuil, il appuie sur les pattes de devant contre mon épaule et il approche son museau de mon oreille. C'est comme s'il me parlait, et, en fait, il tourne la tête et me regarde avec déférence pour observer l'effet de sa communication. Pour lui faire plaisir je fais comme si je l'avais compris et je bouge la tête. Alors il saute à terre et bondit autour de moi.

Peut-être que le couteau du boucher serait une rédemption pour cet animal, mais il représente mon héritage, et je dois la lui refuser. C'est pour cela qu'il faudra attendre jusqu'à mon dernier soupir, bien qu'il me regarde parfois avec des yeux humains, raisonnables, qui m'inciteraient à l'acte raisonnable.

Franz Kafka

Jose Luis Borges / Margarita Guerrero, Manuel de zoologie fantastique, Christian Bourgeois éditeur - 1954. Cet ouvrage a été réédité en 1967 sous le titre Le livre des êtres imaginaires, Gallimard / L'imaginaire