5.9.08

Souvent je prends le prétexte d'une promenade dans les vignes pour marcher aussi longtemps que le fil noué de ma pensée en a besoin. Marcher longtemps permet aux pensées de ne plus s'enrouler sur elles-mêmes, de se fixer, par je ne sais quel mystère d'écriture sans encre. Comme si marcher c'était écrire. Comme si mes pas imprimaient les mots quelque part, mais où, je ne sais pas, pas dans la terre des vignes, mais dans une matière invisible autour de moi, étrangement solidaire de ma mémoire. Un dedans qui se met dehors. Je marche, le vent d'automne remue les rosiers au bout des rangées, je pose mes pensées, elles ne se rembobinent plus, elles sont écrites, inscrites, je me souviens d'elles. Aller et venir dans ces rangées de ceps, changer de lignes et de couleurs, d'un côté vers l'ouest, et retour à l'est, soleil en face, soleil derrière, et je me retourne, comme les nageurs font leurs longueurs, après avoir fait le tour des rosiers tiédis par le vent. Aller et venir, dans ces couleurs, et des lignes d'odeurs qui changent avec la saison, l'heure et le vent, penser en boustrophédon, à l'air, dehors. Dehors d'ailleurs tout est tellement plus douillé. Dedans je ne dois pas bouger. Dedans je dois garder mes distances, comme dit mon mari, rester droite, immobile, et surtout, ne pas trop parler. Ne pas trop en dire. Ne pas trop en faire. N'en fais pas trop, s'il te plaît, me demande souvent mon mari à bout de nerfs, avec une voix très basse tendue à l'extrême, comme tenue en laisse par l'envie de craquer. Je ne peux pas m'occuper de mon propre espace, chez moi, puisqu'il m'interdit de le faire. Je ne peux pas occuper mon propre espace, mon corps, puisqu'il m'interdit de nettoyer.


Emmanuelle Pagano, Les Mains Gamines, POL, 2008

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