2.9.08

Parfois, revenant avec elle dans un taxi, j'aperçois son visage, grand comme celui d'une miniature, au milieu du rétroviseur. Puis je distingue le mien, à son côté. Ou plutôt, je vois un type qui me ressemble. Comme ça la salit de n'être pas seule. C'est moi, naturellement, mais ça ne prouve rien. Puisque je me regarde, c'est que je suis un autre. Je voudrais assister, invisible, à sa vie, la guérir de moi.
Je suis un spectateur, et ce spectateur n'approuve pas ce qui se passe, même s'il est heureux.
Je crois qu'il faut tout l'aplomb et toute la muflerie des comédiens pour accepter sa vie, son bonheur, sans se haïr. Ainsi je me déteste souvent en me voyant à côté de Claude, parce que je ne suis pas le garçon le plus beau du monde, ni son amant, ni le plus fort en histoire ou en javelot.

Roger Nimier, Les Epées, Gallimard, 1948

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