22.12.07

Le bourdon à l'américaine

Et voilà que le coup de bourdon nous tombe dessus, le vrai bourdon noir et nauséeux made in U.S.A., pire que tout au monde, pire que le bourdon des Andes (villages de haute altitude, le vent glacé qui descend des montagnes de cartes postales, l'air raréfié qui te prend à la gorge comme la mort, et l'Equateur avec ses petites villes en bordure du fleuve, la malaria grise comme la came sous le bord noir et empoissé du panama, les escopettes qu'on charge par la gueule, les charognards qui piochent du bec la boue séchée des rues). Pire même que le bourdon que tu attrapes en Suède quand tu débarques du fery à Malmoe (pas de taxe à bord sur la picolette), et ce coup-là est pourtant assez vicieux pour refroidir toute la bonne gnôle hors douane du ferry et tu te retrouves plus bas que terre : sur ce, les regards fuyants et le cimetière au beau milieu de la ville (à croire que toutes les villes suédoises sont bâties autour du marché aux ci-gît), et rien à faire tout au long de l'après-midi, ni bistro ni cinéma - alors je m'étais envoyé ma dernière pipe de bon kif de Tanger et javais dit à K.E. : "Viens, on retourne tout droit au ferry."

Mais le bourdon à l'américaine est pire que tout. Tu ne peux pas mettre le doigt dessus, tu ne sais pas d'où il vient. Prends un de ces bars préfabriqués au coin des grandes casernes urbaines (chaque bloc d'immeuble a son bar, son drugstore et son supermarket). Dès que tu ouvres la porte, le bourdon te serre les tripes. Tu as beau chercher, c'est impossible à expliquer. Ca ne vient pas du garçon, ni des clients, ni du plastique jaunasse qui recouvre les tabourets de bar, ni du néon tamisé. Pas même de la T.V... et les habitudes se cristallisent en fonction de ce bourdon quotidien, tout comme la cocaine finit par durcir l'organisme contre le coup de batôn en fin de parcours...

William Burroughs, Le Festin Nu, Olympia Press, 1959 (pour l'édition originale)

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