7.9.12

Le Sermon sur la Chute de Rome, par Jérôme Ferrari


Si Le Sermon sur la chute de Rome est le premier livre que vous lisez de Jérôme Ferrari, vous ignorez tout de sa syntaxe impeccable, son goût pour les rives, sa justesse qui pourrait être orgueilleuse. Et un monde rugissant, en lutte avec ses propres croyances, va s'ouvrir à vous pour vous happer corps et bien. Mais n'ayez crainte car, pour reprendre l’antiphrase mystique de son précédent roman, murmurée au milieu du chaos, « tout s'oublie si vite, tout est si léger ».

La chute de Rome, telle que la voit saint Augustin, est le centre autour duquel pivote ce nouveau livre. Tour à tour revanche des médiocres et promesse de renouveau, ce moment de l'Histoire est un prisme changeant, que l'on manipule au long des chapitres à mesure que les personnages se succèdent et en livrent d'une certaine manière leur version ; leur vérité pirandellienne. Autant qu'il est délicat de débusquer le moindre écart dans la composition de son texte, il est sans doute aisé de blâmer Ferrari pour son lyrisme, qui est une tendance fréquente à l'élégie, et qui peut former le prétexte de s'en éloigner. De même, un auteur à la plume si ample pourra surprendre par le point d'honneur qu'il met  à s'ancrer dans le quotidien, dans le trivial de situations malaimables voire graveleuses.

Mais les destins dont traitent en détail les romans de Ferrari, les vies qu’il déroule devant nos yeux sont à la fois l’obsession de son œuvre, les personnages se parlant d’un livre à l’autre, précisant, par d’incessantes trajectoires entre ceux-ci, la tragédie qui les anime, à la fois son obsession donc et tout autre chose. Un motif, une fausse intrigue à la chair élastique, aux noms presque interchangeables tant le propos se sert du séculier pour viser à la transcendance. Le Sermon sur la chute de Rome ne déroge pas à la règle, venant même accentuer le mouvement général auquel on peut légitimement penser que Ferrari ne finira pas de si tôt de s’atteler, porteur qu’il est d’une si grande maîtrise.

L’alternance entre les périodes passées et présentes, procédé qui convient au plus haut point à son écriture, ne fonctionne pas uniquement par un jeu de contraste à la manière de l’évocation indirecte utilisée par Faulkner (Les Palmiers sauvages) ou Coetzee (Terres de crépuscule). Chaque segment vient éclairer le précédent d’une lumière nouvelle, certes, mais contribue également à faire vaciller les perceptions du lecteur, si bien que nous ne savons plus bien sur quel pied danser, à qui se vouer, si le narrateur s’en remet à nous, aux personnages ou à une instance non déterminée. Ce vertige, cette sensation du sol qui se dérobe sous la narration, c’est en définitive le matériau brut qu’aime à travailler Ferrari, sans relâche et dans le sens d’une épure, vers une révélation du verbe.



Jérôme Ferrari, Le Sermon sur la Chute de Rome, Actes Sud, 2012.


Extrait

Elle ne se plaignait de rien, son acquiescement était total car chaque monde est comme un homme, il forme un tout dans lequel il est impossible de puiser à sa guise, et c'est comme un tout qu'il faut le rejeter ou l'accepter, les feuilles et le fruit, la paille et le blé, la bassesse et la grâce. Dans un écrin de poussière et de crasse reposait le grand ciel de la baie, la basilique d'Augustin, et le joyau d'une inépuisable générosité dont l'éclat rejaillissait sur la poussière et la crasse.

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