24.8.07

Note sur les ruses du texte

Toute écriture littéraire - qu'elle soit fictionnelle et romanesque, ou autobiographique (et romanesque encore, ce n'est pas nouveau, voir Les Confessions, de Jean-Jacques Rousseau) - s'emploie à cacher un secret - faute, perte, erreur, échec, deuil, regret, remords, culpabilité, douleur -, bien plus qu'à le dire, bien plus qu'à l'exposer, à le cacher dans les mots, à le perdre, à l'enfouir, à l'ensevelir dans un tombeau profond d'où cela ne ressortira jamais, et dont la trace inversée, le positif issu de ce négatif, la forme heureuse, visible, issue de ce creux malheureux, de ce creuset, de ce moule, sera précisément la sépulture menteuse, le mensonge du petit monument d'écriture. (...)

Pour sauvegarder l'image de sa noblesse et de sa gravité, l'écriture veut faire oublier qu'elle est d'abord un jeu, un de ces jeux solitaires qui invite la multitude anonyme des partenaires invisibles à accepter la règle : la règle du jeu de l'écriture est sa seule vérité, sa matière mensongère, son pacte de dupes. (...)

Tout texte, aussi insignifiant soit-il, aussi mineur, aussi anecdotique, est fragment d'un texte général, et tout fragment d'écriture contient l'écriture tout entière : telle est la règle qui rend possible le jeu de la vérité perdue. Tout texte communique depuis toujours avec tous les autres textes, de toutes les époques, dans toutes les langues, il dialogue avec eux, il les prolonge, il les complète, les conteste, les critique, il leur réplique : il joue avec eux. Et cela se matérialise aujourd'hui - certes de façon encore embryonnaire, mais déjà spectaculaire et mpressionnante - dans le réseau de l'Internet, plus riche, plus ramifié, plus labyrinthique, plus collectif, plus fréquenté, plus partagé, qu'aucune autre construction humaine à ce jour. Tout texte, toute goutte de mots, est instantanément reversé dans l'océan du Texte, auquel il se même sans s'y dissoudre. (...)

La littéraure la plus populaire - celle de ce qu'on appelle les best-sellers -, présente toujours au lecteur une situation de jeu, mais surtout, elle lui révèle presque d'emblée la façon de gagner la partie, lui offrant ainsi la gratification d'avoir ouvert la serrure, d'avoir été supérieur à l'énigme, au secret de l'écriture : c'est que le lecteur d'un best-seller est, de fait, supérieur à son auteur - il l'est déjà numériquement : les millions de lecteurs, apparemment conquis par un auteur, deviennent la foule qui le piétine -, l'auteur a cédé à son lecteur, il lui a préparé sa victoire, il avait d'avance accepté et prévu de lui laisser le dernier mot....

Alain Fleischer, L'Ascenseur, Le Cherche Midi, Août 2007

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Well written article.