12.10.07

"Vous ressemblez à Roger Vailland"

Elle sortit par la porte de communication qu'elle laissa ouverte. Epaulard aperçut la cuisine pleine d'éléments de rangement couverts de Formica. La fille fourgonna dans un réfrigérateur de grande capacité, revint avec des cubes de glace dans un bol et un magnum de Perrier. Elle versa à boire dans les trois verres, ajouta deux glaçons par verre et s'assit en face d'Epaulard. Celui-ci la contemplait et la trouvait excitante. Il était excité.

- Vous ressemblez à Roger Vailland, déclara Cash.
Dans l'esprit d'Epaulard, douche froide. Je suis une personne non analysable, pas un personnage, affirme silencieusement son ego (tandis que son id se contente de faire meuh) ; ce n'est pas tellement facile d'affirmer ça, avec la gueule que je me paye, et avec ma carrière, militant tourné canaille, ancien tueur, j'ai vécu, cinquante ans bien passés, dix-huit mois qu'il n'avait pas touché à une fille et le pire c'est que le besoin ne s'en faisait pas sentir jusqu'à présent. Il se remémora une prostituée cubaine inventive et rougit idiotement. Il écrase sa Française à petits coups rageurs, la frotta pour l'éteindre au fond du cendrier Martini blanc et or, en sortir une autre et l'alluma aussitôt.

- Pas de littérature, je vous prie, dit-il.
- Vous n'aimez pas Roger Vailland
- Si, un peu.
- Vous l'avez connu ?
- Non. Parlons d'autre chose, je vous prie. La littérature n'est pas intéréssante.

Jean-Patrick Manchette, Nada, Gallimard, 1972

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