9.10.07

Elle regardait Carter assis dans le living-room et tout ce qu'elle trouvait à dire c'était qu'il avait pris du poids. La chemise de travail bleue qu'il portait tirait à l'endroit des boutons. Il pesait sans doute déjà ce poids-là quand il était parti, mais elle ne le remarquait que maintenant parce qu'elle ne l'avait pas vu alors.
"Tu vas rester ici ?" demanda-t-elle
Il frotta ses jointures contre son menton mal rasé.
"J'ai toutes mes affaires ici, non ?"
Maria alla s'asseoir en face de lui. Elle avait envie d'une cigarette mais il n'y en avait pas sur la table et cela lui paraissait frivole de se lever pour en prendre une. Quand Carter disait qu'il avait toutes ses affaires dans la maison, ça ne lui semblait pas tout à fait concluant, ça ne repondait pas à la question. Très souvent, avec Carter, elle avait l'impression d'être Ingrid Bergman dans Gaslight - encore une pensée frivole.
"Je veux dire, je croyais que nous étions en quelque sorte séparés"
Ca ne sonnait pas très bien non plus.
"Si c'est comme ça que tu veux voir les choses.
- Ca n'était pas moi. Enfin, était-ce moi ?
- Jamais, Maria. Ca n'est jamais toi."
Il y eut un silence. Quelque chose de réel était en train de se passer : en fait, il s'agissait de sa vie. Si elle pouvait se rappeler ça, elle parviendrait à jouer son rôle jusqu'au bout, à faire ce qu'il fallait, en quoi que cela consistât.

Joan Didion, Maria avec et sans rien (Play it as it lays), Robert Laffont, Pavillons Poche, 2007 (édition orginale : Farrar, Straus & Giroux, Inc., 1970)

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