23.4.08

Interview exclusive de Charly Delwart


Lors de la dernière rentrée littéraire, un jeune trentenaire du nom de Charly Delwart signait Circuit au Seuil, dans la prestigieuse collection « Fiction & Cie » : un premier roman bien éloigné des affres de la littérature trentenaire telle qu’elle est en passe de se voir aujourd’hui packagée. Le personnage principal, Darius, est un être plutôt torturé dans un monde qui se shoote à l’immédiat. Loin de se complaire dans une vraie-fausse banalité, il prend à bras le corps ce que la « modernité » a de plus vivace et qui ressemble à un culte de l’événement. Convié pour un temps dans les locaux d’une entreprise audiovisuelle, Focus, il décide petit à petit de s’y installer sans avoir été engagé, repoussant chaque jour un peu plus loin les limites du factice. Une course dérangeante se met alors en place, en forme à la fois de fuite en avant et de compte à rebours. Un texte haletant, dont on pourra goûter la portée visionnaire.



Randomizm : comment vous est venu à l'idée le thème de l'imposture (imposture vis-à-vis du travail, imposture vis-à-vis de l'information) ?

Charly Delwart : je me suis retrouvé à attendre un plan social, une situation absurde avec tout ce qui peut faire croire à un travail sans travail pour autant. M’y rendant chaque jour par obligation légale. Plus tard, j’ai entendu l’histoire de quelqu’un qui avait occupé un bureau à Radio France. Cela m’a semblé, par rapport à ma situation passée, le stade au-dessus : tout ce qui peut faire croire à un travail sans travail pour autant, et sans salaire. Je me suis demandé qu’est-ce qui ferait qu’un personnage dans la première situation décide de se retrouver dans la seconde situation. Que cela ait un sens pour lui. Je me suis rendu compte que pour passer de l’une à l’autre, il fallait un grand détour (suivre les hauts et les bas de l’errance, être en phase avec le monde puis plus). Jusqu’à ce que la petite peur apparaisse, une énergie instinctive qui trace un chemin dès lors plus direct, et rende cela évident pour le personnage.


Quelle est votre situation professionnelle et dans quelle mesure a-t-elle pu interagir avec l'écriture du roman ?

La fin de ma situation professionnelle passée ressemble de très près au début du roman. L’écriture est une forme de digestion, du fait d’avoir attendu d’une logique extérieure la suite des événements. Le personnage de Darius passe de cette logique à une logique personnelle qui fait avancer les choses.


Diriez-vous que Circuit est une allégorie du pouvoir ?

Pas une allégorie mais un traité de survie. Qui est une prise de pouvoir, contre les glaciations, contre ce qui va à l’encontre du mouvement. Pour cela, retrouver une énergie présente depuis le premier protoplasme dans chaque forme vivante, renouer avec cela, suivre la petite peur qui est à la fois un moteur, du trac à l’idée de faire, une envie forte à y penser, quelque chose qui donne le sentiment d’être en vie, qui contraste avec l’apathie qu’il a connue avant, une petite peur qu’il lui faut entretenir en lui, rechercher.

Peut-on voir un lien entre le système médiatique que vous décrivez et la "machine bureaucratique" de Franz Kafka ?

Moins le système médiatique que le monde de l’entreprise. D’autant quand ce monde se « bureaucratise », quand il a pris une certaine ampleur. Quand les procédures internes, les flux d’informations, les rapports hiérarchiques deviennent très organisés. Et quand parallèlement, ce développement de codes nouveaux tend à faire ressembler une multinationale à une autre. Mais à l’inverse de la machine bureaucratique de Kafka, le personnage comprend les codes face auxquels il se retrouve chez Focus, pour les avoir vu ailleurs et parce qu’ils ont un sens. Ils sont une donnée qu’il prend en compte.

La proximité avec les personnages des romans de Michel Houellebecq vous est-elle apparue ?

Non.

Quelles sont les strates d'écriture et/ou de récriture qui vous ont permis d'obtenir un résultat narratif homogène ?

Un synopsis d’une trentaine de pages pour dresser les lignes narratives principales. L’écriture du roman en gardant du synopsis une direction et un cadre. Des multiples réécritures. Pour réécrire ensuite dans la distance que permet le fait d’avoir compris pourquoi avoir écrit cette histoire. Il y a une phrase-clé qui dit : “what do you want to know in the writing of it”. Répondre à la question, comprendre pourquoi, ne peut avoir lieu qu’à la fin de l’écriture, et c’est cela qui permet justement d’achever le roman, qu’il soit une fiction destinée à être lue par d’autres. Le travail enfin avec l’éditeur qui oblige à revoir le texte avec une distance nouvelle, à aller un pas plus loin, à faire confiance à son texte, se confronter à des choses pas vues jusque-là et avancer dans certains retranchements. Ce qui a donné des coupes, un rythme plus serré, une trajectoire vers plus d’homogénéité, de clarté.


Comment avez-vous dessiné les traits principaux du caractère de Darius : le rapport aux femmes, le désir d'indépendance, les accès de déprime ?

Le rapport aux femmes est résolument schématique, il est question d’une reconstruction, d’un rapport entre le personnage et lui-même, plongé dans le monde, ce qui laisse peu de place, de disponibilité mentale pour les relations amoureuses. L’indépendance est un des résultats de sa recherche, la construction d’un système à lui. Le chemin similaire à celui qui mène, dans l’évolution des espèces, d’une carapace extérieure à un squelette interne. Pour les accès de déprime, ils sont ce qui accompagne un parcours qui tend vers du fondamental, les accès n’étant pas des états de déprime en soi mais des passages, des possibilités de dévier d’un chemin, un temps d’arrêt, de doute qui fait partie des risques possibles dans le chemin qui va de vouloir à réaliser.



Photos Sébastien Dolidon.

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